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LA BESACE D’AMOUR

l’attira vers lui et regarda ardemment les traits du père Achard tout en disant :

— Regardez-moi, père Achard !

Le mendiant avait vivement retiré sa main et caché de nouveau sa figure.

Mais le baron se relevait avec un sourire de satisfaction, et ajoutait, plus ironique.

— Personne, heureusement, n’était disposé à donner une livre pour cette besace. N’eût-ce pas été odieux d’accepter une livre ? au cas où cette besace eût contenu l’écusson d’un noble comte, par exemple !

Le mendiant, cette fois tressaillit.

Le baron sourit davantage et reprit avec un sarcasme plus accentué :

— Pauvre besace ! Mais, heureusement aussi, j’étais là… Je suis intervenu au bon moment. Prenez garde mes gentilshommes criai-je, prenez garde de commettre un sacrilège… cette besace peut être sacrée !

Il ricana longuement.

Les mains du mendiant, collées sur son visage, tremblaient ; on aurait pu penser que ces paroles narquoises du baron l’offensaient et qu’il faisait de formidables efforts pour conserver son calme.

Mais Jean Vaucourt, lui, ne put en souffrir davantage.

— C’est assez, dit-il d’une voix rude et impérieuse, d’insulter à la misère d’autrui !

Il marcha d’un pas assuré et menaçant vers le baron de Loisel.

Celui-ci se redressa avec hauteur et dit :

— Arrière, jeune roture !… Gardes !

Les gardes tirèrent leurs épées et s’élancèrent au pas de course sur Jean Vaucourt.

— Arrêtez ! cria Marguerite en survenant.

Le baron lança à sa fille un regard chargé de colère.

La jeune fille rougit violemment et recula.

Jean Vaucourt avait rugi devant les épées nues, puis était retourné s’adosser à la muraille car le mendiant venait de lui souffler ces mots :

— Mon ami, laissez faire, et fiez-vous à moi !

Le baron n’avait pas compris ces paroles, mais il venait de voir assez distinctement les traits du père Achard. Dans l’orbite de ses yeux une lueur de triomphe rayonna. Il fit signe à un garde d’approcher et lui dit :

— Veuillez conduire mademoiselle hors d’ici ! Va ! ajouta-t-il impérieusement en se tournant vers sa fille.

Marguerite de Loisel frémit, pâlit et suivit le garde, mais non sans avoir jeté à Jean Vaucourt un long regard de pitié.

Lorsque sa fille fût sortie de la salle, le baron dit aux trois autres gardes :

— Emmenez ce mendiant à la salle des gardes ! Puis à voix basse il ajouta : C’est un traître au roi de France !

Enfermez-le et arrangez-vous de façon que demain, quand j’irai le voir, je ne trouve que son cadavre ! Faites !

À ce moment la haine du baron était si visible sur ses traits que Jean Vaucourt, qui l’observait étroitement, devina ses intentions et le danger qui menaçait le mendiant.

Il s’élança vers le baron.

— Par le sang ! rugit ce dernier.

Il jeta un ordre aux gardes, saisit un court poignard caché sous son habit et le leva sur Jean Vaucourt.

— Si tu fais encore un mouvement, clerc de satan, je te troue la gorge !

Le mendiant bondit sur le baron… mais il fut empoigné par les gardes et solidement maintenu.

— Emmenez-le commanda le baron qui écumait de rage.

Mais cet ordre était à peine jeté qu’un cri de femme retentit hors la salle… et ce cri sembla venir de la bouche de Marguerite de Loisel. Le baron poussa un grognement rauque. Mais aussitôt ce cri entendu, on apercevait un tapage aux étages supérieure, un vacarme d’enfer dans lequel se confondaient des jurons des cris et des bruissements d’acier ; et tout à coup une voix nasillarde et retentissante cria :

— J’ai demandé audience à monsieur le comte de Maubertin !

À la seconde même le mendiant jeta un cri de joie avec ce nom :

— Flambard !

— Gardes, à la porte ! vociféra le baron.

Et il se rua vers la porte suivi de ses trois gardes qui avaient abandonné le mendiant. La même voix nasillarde, plus rapprochée cette fois, hurlait :

— Place, valets de basse-cour !

On entendait des épées s’entre-choquer, crisser, bruire, claquer…

— En avant ! clama le mendiant à Jean Vaucourt tout étonné de ce qu’il entendait.

Tous deux s’élancèrent vers la porte à la suite des gardes et du baron. Ils arrivèrent trop tard : la lourde porte fut refermée sur eux avec un bruit formidable.

Le mendiant, d’une voix de tonnerre, cria :

— Flambard ! Flambard ! Flambard !


CHAPITRE V

SUR LA ROUTE, HORS LES MURS.


Rejoignons le cabriolet emmenant les deux clientes du notaire Lebaudry. Comme nous le savons maintenant, ces deux femmes étaient l’une, la plus âgée, Mme de Ferrière, l’autre, Mlle Héloise de Maubertin.

La voiture après avoir quitté les murs de la cité s’était engagée sur une route descendant vers la vallée qui s’allongeait au pied du Cap vers l’ouest et le nord-ouest, et cette route allait s’enfouir sous les bois de Sillery.

Mais avant d’atteindre la vallée, le cabriolet traversa un plateau d’où la vue pouvait s’étendre au lointain et parcourir un vaste et magnifique panorama.

La jeune fille fit arrêter le cabriolet et dit à sa compagne avec un élan d’admiration :

— Voyez, chère tante, comme c’est beau ! C’est la première fois que ce pays m’apparaît aussi resplendissant, aussi pittoresque !

Et la jeune fille étendait sa main fine vers les horizons qui renfermaient une terre pleine de poétique beauté.

Mme de Ferrière suivit la main de la jeune fille et répondit, non moins admirative :

— C’est vraiment merveilleux, Héloise. En France, aux Indes, je n’ai pas vu de plus splendides paysages, de nature plus exquise !

Et elles contemplèrent longtemps, comme en extase, ce tableau puissant par son coloris et sa lumière, par la variété presque infinie de ses aspects et par la ligne harmonieuse qui en dé-