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LA BESACE D’AMOUR

seulement de saisir le sens des paroles de Cadet, elle ajouta avec dégoût :

— Des amis qui, aujourd’hui, vous tendent une main secourable pour, demain, vous jeter par terre et cracher sur vous !

Cadet et le vicomte se mirent à rire.

— Par Notre-Dame ! chère folle, s’écria de Loys, reprenez vos sens ! Sortez-vous d’un vilain rêve ? Êtes-vous d’affreux cauchemars poursuivie ? Tenez… je suis magicien…

Il voulut la prendre à la taille.

Cette fois Marguerite écarta rudement le vicomte. Elle était livide… elle chancelait comme si elle eût été aussi ivre de vin que ses deux fâcheux visiteurs.

Dans son vertige elle bégaya :

— Est-ce d’un gentilhomme de traiter ainsi sa fiancée ?

De Loys éclata d’un grand rire.

— Par le diable ! la belle, comme tu y vas ! Depuis quand donc sommes-nous ainsi fiancés ?

— Mais vos promesses !… s’écria Marguerite toute horrifiée par ce tutoiement presque outrageant du vicomte.

— Les promesses d’un contrat devant être signé par-devant notaire, ricana le vicomte. Mais ce contrat, ce me semble, n’est pas encore signé !

— Mais s’il doit être signé… bredouilla Marguerite saisie d’une affreuse pensée.

— À une condition, il le sera certainement… N’est-ce pas, ami Cadet ?

— Certes, certes, appuya Cadet avec un sourire redoutable.

— Et à quelle condition ?… En posant cette question Marguerite pensa qu’elle allait tomber à la renverse, qu’elle allait mourir peut-être ; elle se sentait entraîner dans l’intrigue d’une comédie effroyable dans laquelle elle pouvait être l’héroïne tragique.

— Celle de m’aimer de suite, répondit cyniquement de Loys… celle aussi d’aimer notre ami Cadet !!

— Que voulez-vous dire ?

Par cette question Marguerite voulut se donner le temps de penser, de chercher une issue au traquenard qu’on voulait lui tendre. Car elle comprenait que ces deux hommes, dépossédés de leur raison par le vin, qui se disaient ses amis, étaient réellement deux ennemis dangereux ! Lentement elle recula vers la porte… vers le réfectoire.

Mais elle aurait dû fuir… fuir de toute la vitesse de ses jambes. Quand elle y pensa, il était trop tard. De Loys venait de se jeter sur elle, de la prendre dans ses bras.

Elle tenta de se débattre.

De Loys regarda Cadet comme pour prendre son avis.

— Certes, certes… fit Cadet en clignant de l’œil, puisque, ici, je suis chez moi !

Marguerite, dans ses tentatives pour échapper à l’étreinte féroce, suffoquait.

De Loys pencha ses lèvres vers les lèvres livides de la jeune fille.

Elle renvoya brusquement sa tête en arrière balbutiant dans son épouvante, dans son horreur :

— Vous n’êtes pas un gentilhomme… vous êtes un lâche !

— Lâche ! rugit le vicomte.

Il abandonna Marguerite, recula de quelques pas, très pâle.

— Lâche, dis-tu ? Sa voix tremblait de fureur. Sache, ajouta-t-il, les dents serrées, qu’on n’a jamais encore traité de lâche un gentilhomme de ma lignée… pas même une femme n’a osé.

— Vous n’êtes pas un gentilhomme ! répéta Marguerite d’une voix rauque.

— Et toi… s’écria le vicomte en ricanant, avec sarcasme. Par la mort-diable ! Cadet mon ami, qui est-elle cette donzelle qui me traite de lâche ? Qui est-elle, si moi je ne suis pas gentilhomme ? Parle !

Cadet se borna à ricaner sinistrement.

Marguerite chancela… elle sentit l’affront suprême venir ! Mais elle voulut le parer.

— Pardon ! monsieur le vicomte ! bégaya-t-elle… je…

De Loys l’interrompit avec colère.

— Pardon ! hurla-t-il. Ah ! non, pas ainsi, ma belle… il importe de t’apprendre de suite que je suis assez gentilhomme pour ne pas épouser une… Lardinet !

Pour ne pas s’affaisser Marguerite saisit la lourde tapisserie.

Mais cette tapisserie au même instant fut brusquement écartée, et une voix mâle demanda :

— Qui parle ici de Lardinet ?

Marguerite poussa un cri de joie suprême.

— De Loys et Cadet reculèrent avec étonnement.

Jean Vaucourt, excessivement pâle, en chemise maculée de sang, menaçant, terrible, venait d’apparaître… il marchait contre le vicomte de Loys.

— Répondez, monsieur ! commanda-t-il d’une voix autoritaire ; est-ce vous qui parlez de Lardinet ?

Alors, seulement, Marguerite comprit véritablement lequel de ces deux hommes valait mieux… Jean Vaucourt.

De Loys éclata de rire.

— Ha ! ha ! ha ! le clerc de notaire chez Marguerite Lardinet !

Cadet joignit son rire épais à celui du vicomte.

Mais à l’instant la main de Jean Vaucourt frappait rudement le vicomte au visage.

Celui-ci rugit de rage.

— Ah ! damné clerc de notaire !

Il tira son épée.

Tranquillement Jean Vaucourt rétorqua :

— Apprenez, gentilhomme de rue, que je suis capitaine de milices !

— Capitaine d’enfer ! clama de Loys, tu vas aller capitainer chez Lucifer !

Il fondit sur le jeune homme, l’épée haute. Jean Vaucourt n’avait pas d’arme pour se défendre. Mais avant que la lame du vicomte n’eût atteint son but, Marguerite surgissait, se ruait un poignard à la main, et de ce poignard que lui avait remis son père, elle frappait de toute sa vigueur le vicomte à la gorge.

Il y eut un cri, du sang, un gémissement…

De Loys échappa son épée, parut s’affaisser. Mais Cadet accourut à temps pour le soutenir. Mais le coup de poignard de Marguerite n’avait pas porté, il n’avait fait que déchirer la chair.

Mais cela avait suffi pour dégriser Cadet et le vicomte.

Celui-ci ramassa son épée sous le regard défiant et méprisant de Jean Vaucourt, reprit le bras de Cadet et dit :

— Allons-nous-en !