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LA BESACE D’AMOUR

— Ha ! ha ! ha !

Le jeune homme pâlit affreusement, il fit un geste foudroyant et commanda :

— Arrière ! damoiseaux de Pompadour ! Place au peuple canadien !

Des lazzi volèrent de la bouche des officiers et cadets :

— Depuis quand les clercs de notaire commandent-ils le peuple ?

— Voyons donc s’il n’a pas une épée sous sa soutanelle !

— Taisez-vous donc, Messeigneurs !… il va dégainer sa plume !

— Jour de deuil ! et moi qui n’ai pas revêtu ma cotte de mailles !

Devant les épées, les sarcasmes, les plaisanteries, les rires, le peuple demeurait béant, indécis.

Le clerc fit un geste de rage :

— Enfonçons cette valetaille de cour ! commanda-t-il à ceux qui le suivaient.

Des pierres volèrent, une poussée se fit, une épée plus proche trop proche de sa poitrine menaça de percer le jeune homme. Rapide comme la pensée, il saisit cette épée du cadet qui la tenait, l’arracha de la main qui la brandissait, l’éleva, la fit tournoyer une seconde et l’envoya au loin par-dessus les têtes ahuries et émerveillées du peuple !

Ce geste souffla sur le sang déjà échauffé des gentilshommes quatorze épées menacèrent de plus près la poitrine du jeune clerc de notaire.

— Qu’il meure ! cria de Loys.

— Il a insulté les gentilshommes du roi !

— Il a bafoué les cadets de la garde de Monsieur l’intendant !

— À mort le manant !

Le clerc demeurait immobile, mais terrible !

Le peuple intimidé, s’était reculé, abandonnant le jeune téméraire à son sort, Et il recula encore, quand il aperçut des gardes accourant du Château Saint-Louis ; croyant qu’il y avait émeute, ces gardes venaient prêter main-forte.

Le clerc, se voyant abandonné de ceux qui l’avalent suivi jusque-là s’écria :

— Lâches !

Puis il avisa un gourdin qui traînait sur le pavé de la rue, il fit un bond, saisit le bâton, et tête baissée se jeta résolument contre les épées.

Son courage était folie, il s’écrasa, blessé. Il se releva, plus rugissant, buta, tomba une seconde fois. Mais cette fois il était terrassé : cinq ou six épées allaient lui transpercer le cœur !

Soudain un homme traversa la foule stupéfaite et statufiée ; l’homme était un vieillard presque, cheveux blancs au vent, vêtu de lambeaux, portant sur son dos une besace retenue par une courroie passée à son cou. Malgré son âge, malgré sa maigreur, malgré sa débilité apparente, cet homme courait.

— Le mendiant ! firent des voix ébaubies.

Ce qui étonnait surtout, c’était de voir ce mendiant apparaître une épée à la main.

Les gentilshommes furent peut-être plus étonnés que le peuple.

Le cadet à qui le clerc avait arraché l’épée, vit le mendiant et la lame claire et flexible qu’il tenait dans sa main droite.

Il s’écria avec une stupeur presque comique :

— Par tous les Saints du Paradis ! voilà ce mendiant avec mon épée !

Des rires éclatèrent.

C’est vrai répliqua le mendiant en avançant vers le cadet et les autres officiers ; ton épée, je viens de la ramasser.

— En ce cas, apporte-la-moi !

— Tout à l’heure, répondit le mendiant sur un ton calme, j’en ai besoin pour le moment.

Il continua d’avancer.

— Prends garde ! dit le cadet avec ironie, tu peux te faire mal !

— Penses-tu — Attends ! tu vas voir !

Le mendiant était maintenant à trois pas de ceux qui maintenaient leurs épées appuyées sur la poitrine du clerc de notaire. Il s’arrêta et commanda d’une voix impérative :

— Haut les fers !

On partit à rire.

— Va ailleurs traîner ta besace !

— Avez-vous jamais vu ça, vous autres ? voilà à présent qu’on se permet de quémander l’épée à la main !

— C’est une honte !

— Un crime !

— Un sacrilège !

Ces lazzis ne parurent pas troubler le mendiant ; l’épée en sa main fine et nerveuse commençait à siffler. Les gentilshommes, pour ne pas être embrochés, durent s’écarter du clerc, reculer, se mettre en garde à quelques pas plus loin.

Curieux le peuple se rapprochait de la scène.

Le mendiant se pencha sur le jeune homme étendu sur le pavé et lui dit :

— Relevez-vous, mon ami, il n’y a plus de danger !

Jean Vaucourt — puisque tel était son nom — obéit. Il était livide ; ses regards noirs étincelaient de haine et d’une rage impuissante.

D’un sourire, cependant, il remercia le mendiant qui se mettait à parer avec adresse et agilité les attaques savantes des gentilshommes.

Mais ce n’était qu’un homme contre quinze… une épée contre quatorze ! et plus loin on voyait accourir les gardes du Château !

Jean Vaucourt frémit. Il se retourna vers le peuple qui se rapprochait et cria :

— Peuple ! te laisseras-tu imposer par la valetaille d’un Bigot ou d’une Pompadour ?

Chose curieuse, cette foule oscilla tout à coup, bougea, s’ébranla, puis marcha pour venir balayer la valetaille.

Mais à l’instant cinquante gardes venus à la rescousse du Château tombaient l’épée au clair, sur le peuple. Le choc fut si rude, que la foule massée et compacte brisa du coup en tronçons, grinça, rugit, puis s’éparpilla pour se disperser en rumeurs confuses.

L’émeute était vaincue, vaincue au moment où un cri retentissait :

— Traîtres ! lâches !

Ce cri, le mendiant l’avait poussé. Sous les épées réunies des quatorze gentilshommes, il venait de tomber, d’échapper sa lame, et, assis sur le pavé, il tenait sa main droite serrée sous son bras gauche ! Un traître l’avait frappé sous l’aisselle.

Jean Vaucourt s’était précipité à son secours.

— Sais-tu manier une épée ? demanda le mendiant. Prends celle-ci ! Moi, je crains de ne pouvoir la tenir encore !