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la corvée

mais il est tout plein de cœur. Je suis certain qu’avec lui Mariette sera heureuse.

— Si je vous comprends bien, père Brunel, votre femme se trouve seule à la maison.

— Il paraît qu’une voisine s’est chargée de la veiller. Une chose pas mal certaine il faut qu’elle soit bien malade pour que Mariette et Clémence se mettent en frais de venir à Québec pour me chercher. Pensez donc, près de cinq lieues de marche pour des enfants !

— Oui, cela prouve qu’elles sont courageuses… très courageuses, fit pensivement Beauséjour. C’est bon, ajouta-t-il, vous pouvez avoir l’esprit tranquille père Brunel, demain je saurai ce que sont devenues vos filles.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La journée se passa sans incident. Mais tout ce jour-là le père Brunel espéra de voir ses filles venir à lui.

Vain espoir… la journée finie, on rentra plus triste que jamais. Or, dans l’âme de ce grand vieillard au cœur si bon, si doux, si patient, brillait une flamme étrange, un feu de colère grondait contre ceux-là qui le faisaient tant souffrir… qui faisaient souffrir les siens !

Mais ce soir-là, étendu à côté de Beauséjour, le père Brunel — peut-être parce qu’il faisait moins chaud que le soir d’avant — oui, le vieux paysan s’endormit lourdement. Et le lendemain, lorsque le gong le tira en sursaut de son sommeil, il constata avec surprise que Beauséjour n’était plus là.

Le jeune homme avait tenu parole.


VIII

LE PRISONNIER


Jaunart, on se le rappelle, avait été reconduit à la caserne, après avoir frappé Barthoud, et enfermé dans un cachot.

Ainsi que le père Brunel l’avait expliqué à Beauséjour, les cachots se trouvaient dans la cave de la caserne et l’on y descendait par une trappe pratiquée dans la salle réservée aux soldats. C’était donc, cette trappe, l’unique issue et il ne se trouvait dans la cave nul soupirail ou prise d’air ou de jour quelconque. La cave était humide, froide et aussi noire qu’un abîme sans fond. On n’y voyait donc rien, et un chat aurait pu s’y égarer. Les cachots occupaient une ligne horizontale au fond de la cave, ils étaient faits de grosse pierre brunâtre fortement cimentée, et chacun d’eux était fermé par une porte de fer à système de verrous extérieurs et cadenassée par-dessus tout. C’est dire que seule la « magie infernale » ou son patron, le Diable, aurait pu se tirer de là. Nul humain, quelque science qu’il eût possédé à briser les plus solides entraves, à passer au travers des plus épaisses murailles, n’aurait été capable de sortir de ces cachots, et le sieur Houdini lui-même, s’il eût vécu à cette époque, aurait été contraint de sécher dur comme os dans l’un de ces réduits et d’y laisser tous les parfums et tous les rayons de sa gloire.

Notons qu’à cette époque de l’Histoire canadienne, époque où l’étranger avait apporté avec lui la formule du VAE VICTIS de Brennus, les prisons, geôles, cachots, étaient communs, particulièrement dans la ville de Québec. Treize prisons étaient connues, mais il pouvait bien y en avoir d’autres. On ne construisait pas d’édifices spéciaux, on se contentait des maisons religieuses abandonnées. Ou encore, quand on était à l’étroit pour loger les malheureux Canadiens marqués du signe fatal de la « suspicion », on prenait la première baraque venue, on la renforçait quelque peu de fer et de pierre et l’on y apostait quelques soldats, ainsi que fut fait en la basse-ville, proche Notre-Dame-des-Victoires. C’étaient donc, d’après le nombre connu — et nombre fatidique s’il fut jamais ! — TREIZE prisons pour une cité dont la population — ne dépassait pas cinq mille âmes. Sans doute, parmi la quantité de ces prisons il y en avait de très petites, là, par exemple, où on ne logeait pas plus de dix ou quinze prisonniers. Par contre, il existait les grandes prisons. Exemple : le collège des Jésuites où, à la date du 27 octobre 1780, on comptait CENT SOIXANTE-TREIZE prisonniers. Exemple encore : à l’ancien monastère des Pères Récollets où, vers mai 1781, on trouvait DEUX CENT VINGT-DEUX prisonniers. BIS ET TER : un vieil entrepôt des marchandises royales près de l’ancien Palais de l’Intendance et proche la Porte du Palais, d’où, au mois de juin 1782, on