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la corvée

Et des heures sans fin s’écoulèrent… Jaunart croyait avoir vécu là des années déjà, lorsque soudain la porte de fer s’ouvrit en grinçant. Un soldat, s’éclairant d’un falot, déposa vivement sur le sol un morceau de pain et une jatte d’eau et referma la porte, et cette porte se refermait tandis que Jaunart, surpris, se frottait encore les paupières. Au vrai, il n’avait rien vu qu’un filet de lumière et, dans ce filet de lumière, qu’une vague silhouette humaine. De suite il avait été replongé dans l’obscurité de son enfer.

Or, c’était le matin suivant après le départ pour les corvées des équipes de galériens.

Chose curieuse, jusqu’à ce moment Jaunart n’avait pas senti la faim. Mais peut-être avait-il dormi tout ce temps. Certes, il ne le savait pas ! Savait-il même s’il était encore vivant ? Savait-il l’heure qu’il était ? le jour ? le mois ? l’an ? Non… il savait seulement qu’il y avait là de quoi à manger, et c’est pourquoi lui vinrent tout à coup la soif et la faim. À tâtons il chercha la jatte d’eau et le morceau de pain, et, les ayant trouvés près de sa porte, il mangea et but. Mais pas tout : il mangea le pain à moitié seulement, il but juste la demie de la jatte, voulant se garder quelque chose pour le soir. Car, après avoir retrouvé le calme de l’esprit, Jaunart put réfléchir encore, et, connaissant le régime du cachot, il en conclut qu’il n’avait passé là qu’une nuit encore. Il savait qu’on ne servait au prisonnier qu’un repas par jour, et c’était le matin. Donc, le soldat-geôlier ne reviendrait que le lendemain matin, et c’est pourquoi le jeune paysan crut sage de se ménager du pain et de l’eau pour le soir au cas où la soif et la faim viendraient le tourmenter.

Ayant mangé et bu, mais point son soûl, Jaunart se mit à marcher dans son étroit cachot. Il commençait à se faire à cette existence nouvelle. Ses yeux s’habituaient aux ténèbres, et, d’ailleurs, la couche de sable roux tranchait un peu sur l’obscurité et elle lui permettait de distinguer diffusément les quatre murailles qui l’enserraient. Mais tout cela n’était ni la liberté ni l’espace… et les heures qui s’écoulaient prenaient encore la longueur d’une éternité. Chose sûre à présent, si Jaunart ne pouvait compter les heures, il pourrait du moins, grâce au repas qu’on lui servait chaque matin, compter les jours.

Quand il crut le soir venu, il mangea le reste de son pain et but toute l’eau de la jatte. Puis, plus las que jamais, il s’étendit sur le sol pour dormir. Il ne dormit pas de suite… il pensa à ses parents, à ses amis, au père Brunel et surtout à Mariette, sa promise… et il perdit tout sentiment de vie.

Pourtant, il n’était ni mort ni endormi, car son ouïe se tendait avec effort du côté de la porte où se faisait un bruit étrange… comme du fer mordant du fer !

Qu’était-ce ? Il écouta bien une heure sans bouger, tant il était obsédé par ce bruit curieux dont il aurait voulu connaître la nature. Mais c’était toujours le même bruit régulier et monotone, et, à la fin, il s’imagina que ce bruit venait de la caserne là-haut. Il essaya de n’y plus penser, car, disons-le, un moment il avait eu le fol espoir qu’un ami venait le délivrer. C’était folie assurément, et c’est pourquoi il se mit à rire sourdement et se tourna sur l’autre côté.

Il voulut dormir, impossible. Le même bruit le taquinait. Mais à présent ce bruit lui semblait venir de sous terre. N’était-ce pas un peu extraordinaire ? Peut-être aussi devenait-il fou ? Oh ! cette affreuse captivité dans ce tombeau, n’était-ce pas assez pour briser un cerveau plus solide que le sien ? Oh ! ce crissement d’acier qui faisait grincer ses dents !

— Seigneur ! Seigneur ! s’écria le jeune paysan dans son désespoir, ne me laissez pas devenir fou… j’aime mieux mourir !

Mais le Seigneur ne paraissait pas l’entendre ! Mais lui ne cessait pas d’entendre l’affreux crissement ! Et si c’était un rat grugeant la pierre de son cachot ! Et tout en ne voulant pas entendre ce bruit, malgré lui, maladivement, aurait-on dit, il cherchait à se l’expliquer. Et plus maladivement il se mit à l’écouter, saisi soudain par une immense curiosité. Et, à la fin, il le reconnaissait ce bruit, il avait souvenance d’avoir naguère entendu le même bruit… Oui, c’était clair : une lime mordait l’acier. Mais où ? Pourquoi ? N’importe à présent ce bruit, à force de se faire entendre, devenait partie de son existence. Il s’y accoutuma à ce point que, cessant tout à coup pour plusieurs minutes, le bruit ne laissa plus planer qu’un mortel silence, et ce silence