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la corvée

Mariette n’était pas revenue. Elle n’y tint plus, et, nous l’avons dit, sa résolution était prise. D’ailleurs, elle se sentait forte et n’éprouvait plus aucun malaise.

Elle s’habilla lestement et, à pas feutrés, descendit en bas ; elle ne voulait pas prévenir les gens de la maison de son départ, par crainte qu’on ne voulût la retenir. Elle voulait revoir Mariette coûte que coûte, retrouver son père, puis regagner sa chaumière. Malgré toute la gratitude de son cœur pour les bonnes gens qui l’avaient hébergée, Clémence étouffait dans cette maison trop belle et trop riche. Le luxe ne s’accordait point avec ses goûts humbles, elle n’en avait pas l’habitude, et elle avait hâte de se retrouver sous le simple toit de chaume de la maison paternelle.

En bas, dans le hall tout sombre et silencieux, elle fut prise un peu de remords : partir ainsi à la sourdine sans faire d’adieux lui semblait mal. N’était-ce pas faire affront à la bonne dame qui l’avait soignée comme une enfant ? Partir sans dire où elle allait ne serait-ce pas causer à la dame une grande inquiétude qui pourrait la faire mortellement souffrir ? Oui, Clémence pensa à tout cela, mais toujours la crainte d’être retenue dans cette maison où elle n’était pas tout à fait à son aise, et surtout celle de ne pas revoir Mariette la déterminèrent à poursuivre son chemin.

La porte de sortie se trouvait devant elle. Elle vit la clef dans la serrure. Elle donna un tour très doucement pour ne pas faire de bruit et ne pas attirer l’attention. La porte fut ouverte et Clémence se trouva sur le perron. Mais là elle faillit bien tomber à la renverse d’émoi, car un homme était là, dans le jardin, un homme qui la regardait avec la plus profonde surprise : c’était le jardinier qui venait de commencer sa besogne du jour. Lui, après le premier moment de surprise, salua la jeune fille, sourit, et se mit à ratisser les allées du jardin. Alors Clémence comprit… Elle descendit les marches de pierre bleue et s’élança vers la rue.

Naturellement, ce ne fut pas sans quelque crainte que la jeune fille s’en alla ainsi à l’aventure ; mais elle avait pensé, la ville n’étant pas bien bien grande, que des gens la renseigneraient, lui diraient où travaillait son père, où était Mariette, peut-être. Que voulez-vous ? quand on n’a jamais connu la ville, on a de ces naïvetés faites à la vision des mêmes perspectives, et l’on s’imagine que les gens de la ville auront pour nous les mêmes attentions et même égards que ceux de notre village. On s’imagine encore que l’on dirigera ses pas dans les rues de la ville avec la même sûreté que sur le Chemin du Roi, que ces rues se ressemblent et qu’on n’a qu’à frapper à la première porte pour savoir où demeure son ami. C’est ainsi qu’en nos villes modernes on voit de pauvres paysans égarés errer de rue en rue, de ruelle en ruelle, sans arriver à dénicher le quidam qu’ils cherchent. Souvent l’indication qu’ils possèdent est trop vague et personne ne peut, malgré le meilleur vouloir… les mettre dans le bon chemin. Clémence se jetait dans les rues de la ville tout comme ces paysans ; mais comme eux aussi elle subit une grande déception.

D’une rue à l’autre, et tout comme sa sœur Mariette, l’avant-veille de ce jour elle s’égara, se perdit tout à fait. Comme Mariette encore, elle voulut revenir chez la dame anglaise, mais elle ne sut point retrouver son chemin. Et alors, elle fut prise par l’effroi et le désespoir.

Le soleil s’était levé. Les toits, les tourelles, les clochers que la guerre n’avait pas abattus s’empourpraient sous les rayons écarlates. Les citadins sortaient de leurs maisons et allaient à leurs affaires d’un pas pressé. Les boutiquiers ouvraient les volets de leurs établissements. Des cavaliers matineux passaient au petit trot de leurs montures. Bref la cité s’animait peu à peu et au plus grand désarroi de Clémence qui, trop timide, n’osait demander à personne le renseignement nécessaire pour retrouver la maison de la dame anglaise. Au surplus, les gens qu’elle croisait avaient un air si indifférent et, quelquefois si maussade, que Clémence n’osait même pas les regarder. Mais, par contre, elle regardait les cavaliers, pour la bonne raison que ceux-là ne la regardaient pas. Ayant pénétré sur une belle rue, elle vit là plusieurs de ces cavaliers qui, pour la plupart, allaient au pas de leurs chevaux. Ces gens semblaient se promener uniquement pour respirer l’air frais du matin ; elle remarqua aussi quelques gracieuses écuyères, vêtues de longues amazones, coiffées de petits chapeaux en feutre gris ou noir et d’une forme ronde. Mains gantées, manœuvrant la badine, se balançant sur la croupe de leurs