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pour son protecteur, mais elle n’oubliait pas non plus de remercier Dieu de l’avoir secourue si opportunément.

Mme Laroche était une femme de soixante ans environ, mais encore fraîche et vigilante. C’était une femme d’une grande distinction de manières, et on la disait fort pieuse et très charitable. Elle reçut Clémence avec une bienveillance et une tendresse qui firent grandement plaisir à la jeune fille.

Lorsque le jeune homme eut confié à sa tante les détails de l’aventure arrivée aux deux jeunes filles, Clémence et Mariette, et quand il se vit rassuré sur le sort de Clémence, il prit congé pour se mettre immédiatement à la recherche de Mariette. Mais avant d’entreprendre ces recherches il pensa qu’il serait peut-être à propos d’aller à la brèche pour informer le père Brunel de sa rencontre du matin, et pour lui donner l’espoir que bientôt il pourrait embrasser ses deux filles. Il alla donc reprendre son cheval remonta dans les étriers et se dirigea vers la brèche.


X

OÙ BARTHOUD TROUVE SON MAÎTRE


On se rappelle l’étonnement du père Brunel, pour ne pas parler de la surprise des autres galériens, quand, ce matin-là, il eut constaté la disparition de Beauséjour.

Naturellement l’évasion du pseudo-Laroche fit une sensation bien autrement piquante parmi les factionnaires, soldats et officiers de la caserne. À cette nouvelle Barthoud surgit tout blanc de colère et de stupeur. Il apostropha ainsi le père Brunel :

— Hé là ! père Brunel, voulez-vous me dire où s’est fourré ce drôle de Laroche ?

Il ne pouvait pas croire encore que Laroche eût pris la poudre d’escampette.

Le père Brunel se mit à rire.

— Si je veux vous le dire ? répondit-il à Barthoud. Je le veux bien. Mais comment pourrai-je vous le dire, puisque en me réveillant il n’y avait pas de Laroche à côté de moi ? Car s’il s’est caché quelque part, c’était pendant mon sommeil.

— Vous êtes sûr de ne pas me mentir ?

Le vieux perdit son sourire et son air jovial.

— Mentir, moi ? Depuis quand ai-je l’air d’un menteur ? Voyons, dites !

Il y avait comme une sorte de défi dans ces paroles. Et puis on voyait des éclairs qui ne voulaient dire rien de bon. Au reste, depuis le jour précédent, disons que le vieux sentait quelque chose de terrible gronder en lui. Il n’aurait su dire quoi. Son sang n’était plus aussi calme que d’ordinaire. Parfois dans sa tête passaient des bouffées de chaleur qui l’étourdissaient et l’inquiétaient en même temps. Il se demandait :

— Est-ce que je vais être malade, à présent ? Il ne manquerait plus que ça !

Sous les regards menaçants et soupçonneux de Barthoud cette agitation singulière en lui, cette sorte de ferment intérieur qui l’énervait prenait de la force et de l’ampleur. Il avait peur presque que quelque chose dans sa tête ou dans son cœur n’éclatât.

Barthoud ne voulut pas insister sur le moment. Il retourna sa mauvaise humeur contre les deux factionnaires ébahis et stupides, et commanda de chercher dans la caserne et dans la cave.

Dans la caserne on ne trouva nulle part le disparu. C’était du mystère !

Deux soldats munis de lanternes descendirent à la cave pour y poursuivre les recherches. Ils remontèrent peu de minutes après, blêmes d’épouvante, suffoqués de stupeur, et annoncèrent que le cachot de Jaunart était vide !

Cette fois, Barthoud étouffa de rage.

Il courut à la cave et constata de ses propres yeux que le cachot de Jaunart était bien vide, que le cadenas de la porte de fer avait été coupé par une lime. C’était clair : Laroche dans le cours de la nuit avait donné la liberté à Jaunart. Donc, ce Laroche était un ami de Jaunart… donc aussi, un ami du père Brunel… donc encore, le père Brunel savait quelque chose !

— Allons ! grommela Barthoud, je saurai bien la vérité tout à l’heure !…

Il était cinq heures… l’heure de partir pour le travail de la journée. Les équipes sortirent une à une puis la dernière, celle du père Brunel, s’achemina avec son escorte de soldats vers la brèche.

Le travail avait repris, monotone et ac-