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la corvée

irait prendre la place du vieux à la Corvée, à la brèche.

Le jeune patriote avait, lui aussi, invoqué les secours de la Providence, et non en vain, car de suite cette Providence lui venait en aide. En effet, lorsqu’il arriva sur la Place du Château, ses regards furent de suite attirés par la frêle silhouette d’une jeune paysanne. Il n’y avait là d’ailleurs que quelques passants, des citadins et des militaires allant à leurs occupations. Or, la jeune paysanne se trouvait arrêtée et immobile presque au milieu de la place, et Beauséjour vit qu’elle regardait l’habitation du Maître du pays. Mais Beauséjour vit mieux : cette paysanne avec son chapeau de paille jaune enrubanné de rouge, son corsage de toile bleue, son jupon d’étoffe brune… Et ce visage encadré de boucles brunes… ces traits délicats… Quoi ! ces traits, n’était-ce pas un peu le fin visage de Clémence ?

— Ah ! c’est Mariette… c’est Mariette ! se dit le jeune homme avec une joie inexprimable.

Il s’était arrêté une seconde, comme pour mieux regarder cette apparition qui lui semblait resplendir sous le soleil ; puis il reprit sa marche et, se hâtant, vint s’arrêter tout près de la jeune inconnue.

Elle, tout absorbée dans sa contemplation, ne l’avait pas vu venir.

— Mademoiselle Mariette !… murmura Beauséjour d’une voix si émue qu’elle tremblait énormément.

La jeune fille eut un sursaut. Elle fit deux pas de côté comme avec frayeur, et, tremblante aussi, elle laissa tomber son regard surpris et craintif sur celui qui, le chapeau à la main, s’inclinait déjà avec respect. Elle le regarda longtemps ce beau jeune homme, et à voir bientôt le sourire qui desserra ses lèvres et les lueurs de joie qui inondaient ses prunelles agrandies, on aurait pensé qu’elle reconnaissait le jeune homme.

— Ah ! monsieur, s’écria la jeune fille avec un élan de joyeux espoir, je gage que vous êtes l’ami de mon père et de mon fiancé… vous êtes monsieur Beauséjour.

— Mademoiselle, se mit à rire doucement le jeune homme, vous me reconnaissez comme je viens de vous reconnaître. Ah ! oui, vous êtes bien la sœur de mademoiselle Clémence.

Et il la regardait avec non moins d’attention que mettait Mariette à le considérer. Ses yeux étaient tout pleins d’admiration devant cette image qui lui rappelait si bien celle de Clémence. C’est que Mariette n’était pas moins belle que sa sœur, mais d’une beauté un peu différente. Il n’y avait pas dans la physionomie de Mariette cette apparence enfantine qu’on pouvait découvrir chez Clémence. Il y avait chez Mariette plus de femme que d’enfant. Elle possédait une sorte de maturité qu’on ne découvrait pas dans la physionomie de Clémence. Et dans ses yeux bleus, plus pâles que ceux de sa sœur, flottait une énergie qu’on n’aurait peut-être pas trouvée dans les yeux de Clémence !

Cependant, Mariette avait été frappée par les dernières paroles de Beauséjour : Ah ! oui, vous êtes bien la sœur de mademoiselle Clémence !

Et elle se sentit vivement désireuse de savoir. Elle demanda tout émue d’espoir :

— Vous parlez de Clémence, Monsieur… la connaissez-vous donc ? l’avez-vous vue dans la ville ?

— Oui, Mademoiselle… Et voilà que la Providence s’est rangée encore du côté des infortunés et de ceux qui demandent son appui dans leurs embarras : hier cette divine Providence m’a fait rencontrer votre sœur, et voyez qu’aujourd’hui elle guide mes pas vers vous.

— Ah ! Monsieur, s’écria Mariette transportée de joie, si vous avez rencontré ma sœur, vous devez bien savoir où elle est maintenant ?

— Oui, et elle se trouve à l’abri de tout danger. Votre sœur est au Couvent des Ursulines, auprès de ma tante, Madame Laroche.

— Voulez-vous m’y conduire. Monsieur ? J’ai si hâte de revoir Clémence…

— Je vous conduirai certainement attendu que votre sœur est très inquiète à votre sujet. Mais auparavant, ne pourriez-vous pas me confier ce qui vous est advenu depuis votre séparation de Mademoiselle Clémence ?

La jeune fille consentit volontiers à lui faire un bref récit de ses aventures dans la ville. Elle appuya surtout sur la visite qu’elle avait faite à son père à la brèche.

— Mademoiselle, reprit alors Beauséjour, j’ai beaucoup de sympathie et de respect pour votre malheureux père. Si vous me voyez ici devant l’habitation du général