tout en son bras et sa rapière, oui, c’est dans cette situation d’esprit qu’il se présenta devant la foule des émeutiers.
Mais, à sa vue, un jeune gars cria d’une voix perçante :
— Voici le traître Flandrin Pinchot !… Au lieu de prendre la défense du peuple, il se ligue avec les ennemis du peuple !…
Ouf ! Flandrin crut recevoir un violent soufflet !
Lui, Flandrin, un traître ? Ah non !… Il devait simplement obéir aux ordres de son supérieur.
Et si, au contraire de la plèbe, il ne se plaignait pas de la vie, c’est qu’il n’avait pas raison de le faire. Il avait maintenant une place, et une bonne place. Mais il avait eu sa part de misères et d’infortunes. Un jour, le gouverneur l’avait démis de ses fonctions de maître-geôlier qu’il avait au Château. Puis, sa femme l’avait abandonné. Un peu plus tard, étant passé au service du gouverneur de Ville-Marie, celui-ci peu après le faisait jeter dans un cachot. Puis, le Comte de Frontenac le faisait libérer avec l’intention de l’envoyer à la potence de la rue Sault-au-Matelot. Mais sa femme étant revenue à son foyer elle avait réussi à sauver la tête de son mari. Et, après tous ces déboires, Flandrin perdait l’unique enfant qu’il avait eu de sa chair, pour ne lui rester plus qu’un fils adoptif qu’une autre femme, se disant sa mère, revendiquait. Oui, Flandrin avait eu tout son plein de soucis, de tracas, de misères, et il n’était que juste que la bonne fortune vint lui sourire un peu.
C’est pourquoi il était venu faire face aux émeutiers la bouche fleurie d’un sourire de satisfaction et de confiance.
Mais là… on le recevait avec l’épithète de traître !
Interloqué, il ne sut que répondre sur le coup ; et quand il eut trouvé les mots de la réplique, il n’eut pas le temps de les proférer. Car la plèbe se ruait contre lui et ses gardes. Il sembla que la populace, à cette minute, était moins furieuse contre l’intendant que contre Flandrin Pinchot.
— Sus à ce lâche de Flandrin !… clama une voix de femme.
— Sang-de-bœuf ! hurla Flandrin indigné cette fois, je ne suis pas un lâche ni un traître, et je vais le prouver avec cette rapière.
Un homme du peuple lui cria :
— S’il est vrai que tu n’es pas un lâche ni un traître, Flandrin Pinchot, pourquoi alors t’allies-tu avec les ennemis du peuple ?
— J’obéis à ceux qui me commandent.
— Et qui donc t’a commandé de venir nous menacer de ta rapière ?
— Monsieur le Comte de Frontenac.
— Tu mens, Flandrin, vociféra un paysan, tu mens, parce que le Comte de Frontenac est de notre côté !
Et le paysan, armé d’un gourdin redoutable, menaça la tête de Flandrin. Cette fois, la menace dépassait les bornes : Flandrin joua se sa rapière, le gourdin monta dans les airs, et le malheureux paysan roula sur le sol perforé de part en part par la terrible rapière de Flandrin.
À cette vue, des rugissements terribles firent trembler l’espace, des malédictions et des imprécations assaillirent Flandrin de toutes parts, les miliciens s’apprêtèrent à foncer, baïonnette au fusil, sur Flandrin et ses gardes. Mais Pinchot décida de prendre l’offensive.
— Chargeons ! commanda-t-il aux gardes.
Le lieutenant de police voulut venir avec ce qui lui restait d’hommes prêter main-forte aux gardes, mais une bande d’émeutiers lui barrait le chemin et le tenait en respect.
Flandrin, à la tête des gardes, se rua contre la plèbe. Ce fut, cette fois, une véritable et sanglante mêlée. Mais Flandrin n’avait pas le dessus en dépit de ses beaux coups de rapière, laquelle coupait bras et jambes, piquait, trouait, perforait…
Aveuglé par la fureur, grisé par l’odeur du sang, Flandrin avançait et frappait, mais sans voir où il allait ni qui il frappait… Et voilà qu’il se vit soudain séparé de ses gardes, lesquels étaient prestement refoulés vers la haute-ville par les miliciens, et il se vit seul et entouré par une tourbe enragée qui allait simplement le mettre en pièces ou le réduire en charpie.
Mais, tout à coup, se produit un événement extraordinaire, tout s’immobilise, tout se tait, et l’on entend seulement des plaintes et des gémissements, et çà et là quelques exclamations de stupeur. Puis, un terrible remous se fait dans la foule des émeutiers, et l’on en voit qui tombent en poussant un cri de douleur, et l’on aperçoit la lame étincelante d’une rapière sans voir, cependant, celui qui la manie. Et la rapière s’ouvre un chemin dans la tourbe, un chemin par où Flandrin pourra se retirer. Et voici que le chemin s’achève… quelques coups de rapière encore seulement… Et Flandrin et toute la populace voient un adolescent dresser sa petite taille devant la haute taille de Pinchot, qu’il couvre de son corps et de son arme ensanglantée ; et, là, il tient la foule en respect.
Mais cette foule s’écarte, recule, s’apaise, regarde d’yeux étonnés, émerveillés… Tout à l’heure ; des hommes bien armés, exercés au métier de la guerre, n’ont pu contenir et encore moins disperser la populace enragée ; et voici qu’un enfant a suffi pour étouffer l’émeute !
N’est-ce pas du prodige ?…
Et cet enfant… c’est le fils adoptif de Flandrin Pinchot !
Ah ! oui, Frontenac avait dit qu’il ferait un homme… Eh bien ! cet événement en faisait un homme !
Et qui l’aurait cru ?
Sans doute, depuis deux ans, Flandrin instruisait son enfant adoptif dans le maniement des armes ; au collège des Jésuites, durant les récréations, on faisait des armes, et Louison surpassait tous ses camarades. Mais tout cela n’était qu’un jeu, un passe-temps. Oui, mais tout cela, néanmoins, avait été un entraînement qui profitait singulièrement aujourd’hui à l’écolier.
Quoi ! à lui seul il s’emparait du champ de bataille ! On pouvait être émerveillé à moins.
Mais voici qu’une femme dans le peuple statufié s’écrie en montrant Louison :
— Mon Dieu-Seigneur ! Il est blessé… il est blessé, le pauvre petit !
C’est vrai. Il y a du sang qui coule et se mêle au flot de ses beaux cheveux blonds. Il a une