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LA MÉTISSE

Il était six heures du matin suivant quand un cultivateur, se rendant à Bremner, vit sur le milieu du chemin cet homme étendu et sans mouvement.

L’homme paraissait mort. Le fermier le déposa dans sa voiture et poursuivit son chemin vers le village. Là, l’unique constable fut appelé, ainsi que le maire et le médecin, qui firent porter l’homme à l’hôtel.

Le docteur constata de suite que cet homme gravement blessé vivait encore. À l’aide d’un puissant narcotique, le Suédois fut rappelé à la vie. On l’interrogea aussitôt.

En dépit de sa grande faiblesse Hansen se rappelait parfaitement les incidents du drame dont il avait été la victime, un sourire diabolique entr’ouvrait ses lèvres couvertes de boue.

— On a voulu vous assassiner, demanda le maire.

— Oui, balbutia Hansen… on m’a assassiné !

— Connaissez-vous votre assassin ?

— Oui… Hansen ferma les yeux, ses bras et ses jambes se tendirent violemment, et il sentit la mort l’emporter.

Le médecin comprit que cet homme ne vivrait plus longtemps, et il dit au maire :

— Hâtez-vous, la mort approche.

— Dites-nous le nom de votre meurtrier ! commanda le maire.

Hansen tordit ses lèvres dans un effort suprême pour parler, un râle — s’échappa de sa gorge, un rictus entr’ouvrit ses lèvres boueuses, et il réussit à murmurer distinctement ce nom :

— MacSon !

Un mouvement de surprise agita les témoins de cette scène, et le nom de l’Écossais circula de bouche en bouche.

Une voix prononça assez haut :

— Ça ne m’étonne pas !

Par prudence le maire voulut poursuivre son interrogatoire, mais il était déjà trop tard : le médecin déclarait que la mort avait accompli son œuvre.

Hansen était mort… mort en se vengeant.


XXXI


L’Écossais ne ramena le médecin qu’à trois heures de ce même jour.

Le docteur trouva Esther gravement malade. À Héraldine lui demandant de quoi souffrait la jeune fille le docteur répondit :

— Pneumonie.

Il donna des instructions pour les soins à procurer à la malade et dit à MacSon, qui allait le reconduire à Bremner :

— Je vous remettrai les médicaments nécessaires avec les instructions à suivre dans leur emploi.

Il resta à la ferme en tout quinze minutes. MacSon prit des chevaux frais et repartit pour Bremner.

De ce moment Héraldine se dévoua auprès d’Esther avec toute l’ardeur d’une mère pour sa fille. Depuis le matin la malade avait sans cesse perdu des forces, à ce point qu’elle ne pouvait plus parier. Les médicaments rapportés le soir par le fermier parurent faire beaucoup de bien à la jeune fille. Toutefois, comme le médecin avait défendu à la malade toute fatigue, toute conversation, et recommandé la solitude complète pour quelques jours, Esther fut laissée seule dans sa chambre. Seule, Héraldine, une fois toutes les heures, allait faire prendre à la malade les ordonnances prescrites.

La nuit se passa assez bien.

MacSon, ce soir-là très fatigué par ses courses de la journée, s’était retiré de bonne heure dans sa chambre.

France et Joubert, sans bien comprendre le sens de la maladie, savaient qu’il se passait quelque chose de grave et ils obéissaient aux recommandations de la Métisse : ils demeuraient silencieux et très sages. Mais s’ils parlaient, ou posaient quelque question à la servante, c’était toujours à voix basse et avec une physionomie inquiète.

Le lendemain matin, Héraldine s’aperçut que la fièvre de la malade augmentait. Elle en aveu il MacSon qui n’était pas encore monté à la chambre de sa fille, retenu qu’il était par une gêne qu’il ne pouvait définir. En même temps Héraldine déclara qu’il serait sage de consulter le médecin.

— Je vais aller la voir, répondit MacSon.

Et maîtrisant le trouble qui l’agitait il monta à la chambre de sa fille.

La malade semblait dormir, et sa respiration difficile était un râle continuel. Sa figure livide s’était étirée, émaciée déjà, et ses mains blanches, aux doigts rigides, demeuraient inertes à ses côtés. Esther avait l’apparence d’une morte.

MacSon la contempla un instant avec une grande mélancolie. En certaines circonstances cet homme brutal et insensible paraissait avoir un cœur. Et ce matin-là l’état de sa fille le chagrina. Il se pencha sur elle et lui parla doucement, la voix tremblante. Esther ne bougea pas ; elle demeura muette, paupières closes, comme si déjà elle n’entendait plus les voix de ce monde.

Héraldine avait accompagné l’Écossais.

— Je pense aussi, Héraldine, qu’il faut aller prévenir le médecin ; elle m’a l’air bien mal, la pauvre enfant.

Héraldine ne put retenir ses larmes.

— Oh ! monsieur MacSon, balbutia-t-elle de ses lèvres tremblantes d’angoisse, il faut la sauver par tous les moyens possibles !

— On va essayer.

— Il faut courir au village de suite !

— Je descends et vais atteler.

Et MacSon, suivi d’Héraldine, sortit de la chambre.

Au moment où le fermier allait se rendre à l’étable, une voiture entra dans la cour de la ferme.

Héraldine, qui avait regardé par une fenêtre, éprouva un haut-le-corps, recula violemment et, pâle, frissonnante, regarda MacSon. Car la Métisse connaissait l’accident arrivé à Hansen par l’Écossais lui-même qui avait donné de vagues explications.

Et ce fut avec terreur qu’elle considéra le fermier.

— Eh bien ! qu’as-tu, Héraldine ! interrogea MacSon surpris et inquiet, n’osant regarder par la fenêtre.