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LA PRISE DE MONTRÉAL

sans vouloir offenser les lois de la courtoisie et de la bienséance, je dois me retirer.

Il se leva, ajoutant :

— Au reste, il est des affaires qui m’appellent et que je ne saurais négliger plus longtemps sans danger pour nos projets et pour la sécurité de notre ville. Madame…

Il s’inclina profondément,.

— Je ne vous retiens pas, Monsieur, bien que, en vérité, je sois fort chagrinée…

Le jeune homme marchait vers la tapisserie qui fermait l’entrée de la serre, puis s’engageait dans le passage qui conduisait à la rotonde. Derrière lui marchait Lady Sylvia, silencieuse, mais gardant à ses lèvres un sourire… mais un sourire qui n’aurait pas manqué d’intriguer fortement D’Aubières.

Le jeune chef canadien franchit le passage et ouvrit la porte de la rotonde et pénétra dans la salle qui demeurait dans la même pénombre. Là, il n’avait pas fait trois pas que par une porte brusquement ouverte, paraissaient cinq ou six hommes armés.

— À lui ! commanda une voix sonore.

D’Aubières fit un saut en arrière et porta la main à son épée…

Il tressaillit : son épée manquait à son fourreau.

Il tourna la tête et aperçut, à quelques pas de lui, Lady Sylvia, moqueusement souriante, qui tenait en ses mains la lame brillante.

Maurice eut bien l’idée de bondir et de reprendre son épée, mais à l’instant même il était saisi, renversé et réduit à l’impuissance : en un tour de main on lui avait lié pieds et poings.

Alors, pour la première fois, Maurice vit debout devant lui, ironique et mordant, Cardel.

— Monsieur D’Aubières, prononça celui-ci avec un cruel sarcasme, je suis bien fâché de vous traiter de cette façon, mais dans une lutte comme celle que nous avons engagée, tous les moyens sont bons. Du reste, soyez tranquille, nous n’en voulons nullement à votre vie. Demain, lorsque Monsieur Montgomery sera maître de la ville, vous serez rendus à la liberté.

Maurice se borna à lui dérober un regard de mépris. À présent, il comprenait clairement qu’il avait donné dans un piège. Ses ennemis le feraient disparaître durant vingt-quatre heures afin qu’ils pussent, sans crainte d’être dérangés, jouer leur infâme partie. Maurice vit donc la partie qu’il jouait de son côté perdue tout à fait. Il s’imaginait bien que sa disparition subite causerait non seulement la stupeur mais qu’aussi elle amènerait la défection en masse. Bref, par une seule imprudence la victoire lui échappait.

Lady Sylvia s’approcha, tout en faisant ployer de ses mains la lame du jeune homme. Elle dit, un peu narquoise :

— Monsieur D’Aubières, je désire vous exprimer une fois encore mes excuses et vous assurer en même temps que votre vie sera ménagée. Je vous assure aussi qu’on aura tous les égards dus à votre rang.

La jeune femme et Cardel échangèrent une œillade joyeuse et triomphante, puis Cardel donna un ordre à ses hommes.

Le chef canadien fut entraîné hors de la rotonde et dans une autre salle, non moins riche, au fond de laquelle s’élevait un escalier. Par cet escalier, le jeune homme fut conduit au deuxième étage et là enfermé dans une chambre sans autre issue qu’une porte de chêne très solide et fort bien cadenassée, porte près de laquelle furent postés deux gardes armés de pied en cap.

— À présent, dit Cardel à Lady Sylvia, c’est à mon tour de courir à un rendez-vous d’amour !

Tous deux partirent de rire, puis l’émissaire des Américains quitta la maison de la jeune veuve.

VII

MIRABELLE


Lorsque Maurice D’Aubières et le Comité des Royalistes eurent décidé d’engager la lutte contre les forces américaines, Mirabelle, contente et fière, mais très fatiguée par ses allées et venues de cette journée, quitta le comité en compagnie d’une camarade et, un peu plus tard, rentrait au domicile de son père. M. Chauvremont habitait une maison bourgeoise sur la rue Chomédy, située plus haut que la rue des Anglais et du côté du Mont Royal, non loin des remparts. Cette maison était une ancienne construction en pierre grise, à un seul étage, bâtie vers 1730 et en laquelle avait résidé un haut fonctionnaire, parent de M. de Beauharnois. Cette construction était écartée de la rue et éloignée