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LA PRISE DE MONTRÉAL

— Ohé ! les amis… D’Aubières nous a trahis !… Il s’est vendu aux Anglais !

Lambruche bondit comme un ressort longtemps tendu, se rua en avant et se jeta à la gorge de l’homme qui venait de clamer ses paroles.

— Ah ! canaille !… rugit le capitaine en étranglant l’homme. Vas-tu répéter ça encore ?

Mais aussitôt il desserra son étreinte et disait, surpris :

— Comment… c’est donc vous, père Ledoux ?

— Hein ! si c’est moi ? répondit l’ouvrier. Vous le voyez bien, vous avez failli m’éteindre le souffle.

— Mais ce que vous avez crié ?…

Tout le monde se pressait avidement et anxieusement autour des deux hommes.

— Dame, j’ai crié ce que j’ai entendu et ce que tout le monde crie par là-bas !

Mais Lambruche n’écoutait plus.

— Dix hommes ! clamait-il d’une voix de tonnerre.

Dix miliciens, armés, vinrent se ranger près de lui.

— Suivez-moi ! commanda le capitaine.

Et au pas de course, il s’élança avec ses hommes vers le centre de la cité.

Oui, de toutes parts on annonçait la désertion de Maurice D’Aubières.

Mais lui D’Aubières, où était-il ? se demandait Lambruche qui demeurait sceptique.

Il conduisit ses hommes vers la Place du Marché où pétillaient les flammes d’un énorme brasier, duquel s’échappaient des nuées d’étincelles qu’emportait le vent dans l’espace. La place était encombrée d’hommes, de femmes et d’enfants agités.

Çà et là, Lambruche put reconnaître des lieutenants de Maurice et à chacun d’eux il s’informait du jeune homme. Personne ne l’avait vu. Les lieutenants, inquiets, ne savaient trop que penser. Mais Lambruche les rassura.

Toujours suivi de ses miliciens, il traversa le marché. Il tressaillit soudain en découvrant devant l’église paroissiale une silhouette de femme qui, nettement éclairée par les flammes du bûcher, demeurait immobile et regardait la foule du peuple.

Lambruche la reconnut, c’était Mirabelle qui venait de sortir du temple.

— Ah ! Mademoiselle, vous devez savoir mieux que les autres vous ? Est-ce vrai ce qu’on dit ?

Mirabelle regarda le capitaine d’une façon bizarre, comme si cet homme lui eût été inconnu. Puis, avec un ton d’indifférence :

— Allez voir, répondit-elle, chez Lady Sylvia, si c’est vrai !

Lambruche exécuta un haut-le-corps.

Il approcha son visage maigre et hâlé du visage blanc comme cire de la jeune fille et gronda :

— Ah ! ça, vous ne reconnaissez donc pas Lambruche ?

— Lambruche ! fit la jeune fille en tressaillant.

Un moment, elle regarda le capitaine sans parler. Puis :

— Vous n’êtes donc pas avec lui ? demanda-t-elle avec un sourire amer.

— Moi ! s’écria le capitaine avec étonnement. Mais non… j’étais aux barricades… Je faisais avancer la besogne… quand tout à coup j’ai entendu crier…

— Vous étiez aux barricades… aux barricades ! fit la jeune fille avec surprise. Quoi ! ajouta-t-elle, voulez-vous empêcher les Américains d’entrer ?

— Tonnerre de Dieu ! jura Lambruche bouleversé par l’étrange physionomie de Mirabelle… si je veux empêcher les Américains ! Mais je ne travaille que pour ça…

— Et Maurice ? interrogea Mirabelle.

— Je ne crois pas ce qu’on dit, répliqua rudement Lambruche. Il y a là de la canaillerie que je veux découvrir.

— Eh bien ! allez chez Lady Sylvia, D’Aubières est là !

— Et vous ? interrogea Lambruche, interdit.

— Moi !…

Elle ricana sourdement.

— Moi ! reprit-elle. Que voulez-vous que je fasse à présent qu’il n’y a plus que des traîtres et des lâches !

Elle quitta brusquement le capitaine, s’élança vers une ruelle et disparut.

Lambruche demeura un moment étonné et pensif. Puis, jetant un ordre bref à ses miliciens, il prit sa course vers la demeure de Lady Sylvia. Et tout en courant il grommelait entre ses dents :

— Je veux savoir… je saurai…

Dix minutes plus tard il arrêtait sa pe-