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LA PRISE DE MONTRÉAL

la cité demeura plongée dans un silence religieux.

Du haut de la chaire, un prêtre, avec une impressionnante dignité, rappela au général américain les promesses qu’il avait faites, et affirma que jamais les Américains ne sauraient trouver race plus loyale et plus dévouée s’ils savaient la traiter avec les égards et la justice qu’elle méritait.

Un peu plus tard le chant du Te Deum retentissait triomphalement dans l’espace ensoleillé.

Lambruche, escorté de la mère Ledoux et de son mari, emportait au logis de ces derniers le corps inerte et ensanglanté de Maurice D’Aubières.

— Pourvu qu’il n’en meure pas… gémissait la brave femme.

Lorsqu’on fut au logis, un chirurgien qui avait été mandé accourut.

Maurice fut examiné avec attention.

— Il est chanceux, dit le chirurgien au bout d’un moment, huit balles l’ont atteint mais pas une mortellement. Un mois de repos, et il n’y paraîtra plus !

Les blessures du jeune chef furent immédiatement lavées et pansées, et une heure après il avait repris sa connaissance. Il revint à lui avec sa pensée aussi lucide qu’auparavant. Il sourit à ses amis et tendit sa main à Lambruche.

— Merci, mon cher ami, dit-il d’une voix presque forte, j’espère que tu n’auras pas à me rappeler que je te dois la vie.

Puis, après une courte pause :

— Ainsi donc, tout est perdu, Lambruche ? Et Mirabelle ? ajouta-t-il aussitôt, la voix devenue tremblante d’inquiétude.

Lambruche haussa les épaules en signe qu’il ne savait pas.

— Oh ! s’empressa de dire la mère Ledoux en essuyant une larme, je crois bien que la pauvre enfant doit vous en vouloir un peu. Mais c’est un bon cœur. Et puis, dame ! on ne peut pas dire que vous n’avez pas fait votre devoir. D’ailleurs, le peuple avait changé d’idée, et qu’est-ce que vous auriez fait sans lui, je vous le demande ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il était neuf heures lorsque Montgomery se présenta, seul, au domicile des Ledoux. Il venait prendre des nouvelles de D’Aubières. Toute la cité était en liesse, et la joie la plus franche régnait partout.

Le général fut introduit dans la chambre de Maurice qui, souriant, lui cria :

— Monsieur, je vous salue comme un gentilhomme, et je vous félicite en même temps pour votre belle victoire !

Le général sourit et répliqua :

— Et moi je viens vous dire que j’ai admiré votre courage et votre audace. Je viens aussi vous offrir le rang de brigadier dans mon armée.

— Merci, général. La guerre est finie, puisque vous êtes maître de notre ville. Votre offre m’honore, mais je ne peux l’accepter. Je me remettrai à mes affaires. Je n’aurai qu’un regret, monsieur, et c’est celui d’avoir perdu l’amour et l’estime de celle que j’avais accoutumé à regarder comme ma femme.

— Soyez tranquille, monsieur, elle vous rendra son amour et son estime et elle demeurera à vous, je m’en porte garant.

En même temps que ces paroles Montgomery esquissait un sourire énigmatique. Il se tourna vers Lambruche et commanda :

— Capitaine, allez chercher mademoiselle Chauvremont, je vous prie.

— Vous avez raison, général, répliqua Lambruche. À cette heure, il n’y a plus que ces deux jeunesses à raccorder, et…

Il se tut regardant le général avec une sorte de défi rancuneux.

— Et… ? fit Montgomery, curieux et intrigué.

— Et vous et moi ! acheva Lambruche en pivotant pour se rendre à l’ordre reçu.

Montgomery et D’Aubières échangèrent un sourire.

Lambruche revint au bout d’une demi-heure amenant Mirabelle avec lui. Mais Montgomery ne voulut pas qu’elle fut introduite sur-le-champ dans la chambre de Maurice. Il alla la recevoir dans la cuisine et la fit asseoir pour lui tenir ce petit discours :

— Mademoiselle, vous devez vous réjouir, attendu que monsieur D’Aubières a échappé miraculeusement à la mort. Vous ne pouvez en justice lui garder rancune de s’être joint à nous, puisque la voix du peuple lui a dicté la conduite à tenir. Mais il a voulu obéir à la voix de son amour profond pour vous et aussi à votre ordre, et sans hésiter il a affronté la mort. Donc, mademoiselle, votre unique devoir commande à vous maintenant de prendre soin d’un blessé que vous aimez et qui vous aime ! Venez, ajouta Montgomery sur un ton grave, il vous attend !

Un sanglot souleva la poitrine de la jeune fille, et très pâle et chancelante, elle suivit automatiquement le général américain. Elle