Page:Féron - La revanche d'une race, paru dans L'Étoile du Nord, 1927-1928.djvu/247

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l’oreille de Jules ce fut simplement la conversation de deux êtres humains — conversation mêlée à un crépitement de feu de branches. Et cela paraissait très rapproché, les deux hommes causaient en anglais avec un fort accent d’Outre-Manche.

Dressé sur son séant, Jules promenait autour de lui des regards étonnés sans pouvoir découvrir autre chose que les pentes solitaires et peu escarpés d’un petit ravin au fond duquel il avait roulé dans sa chute.

Et dans ce ravin comme tout autour s’entassaient des troncs d’arbres déracinés brisés effiloquées par les obus, tout cela avec un aspect lugubre qu’amplifiait le blanc linceul de neige.

Et dans ce pêle-mêle de débris Jules se trouvait étroitement entouré d’un rempart d’abatis qui l’eût dérobé à l’œil exercé du chasseur.

Alors lentement et péniblement il se souleva. Si lourde était sa tête qu’elle faisait atrocement mal. Tous ses membres étaient engourdis, et ce ne fut qu’après de douloureux efforts qu’il parvint à se maintenir debout sur ses jambes raides.

Et toujours les deux voix inconnues arrivaient jusqu’à lui.

Par-dessus l’abatis d’arbres il promena ses regards inquiets.

Et à vingt pas de là au plus il reconnut deux soldats anglais — deux Tommies — assis près d’un feu de bivouac et en train de déguster de très bon appétit un déjeuner arrosé de café dont l’arôme parvenait jusqu’aux narines frémissantes de Jules.

À l’odeur de café, à la vue de ces mets qu’il voyait disparaitre sous la dent gloutonne des deux Anglais notre héros sentit son palais s’humecter d’une salive claire et irrésistible. Et retrouvant comme par enchantement sa vigueur et son élasticité il enjamba les troncs d’arbres, fit un bond prodigieux et vint se camper devant les deux Anglais. Ceux-ci saisis d’épouvante par la vision soudaine de cet homme à la face émaciée et livide qui paraissait farouche se dressèrent d’un bond et oubliant tout : café, mets, feu, armes et bagages, prirent leur élan, gravirent les pentes du ravin avec la légèreté de chevreaux effarouché et s’éclipsèrent dans les fourrés avoisinants comme deux chétifs lapins.

Jules ne put retenir un long éclat de rire — mais ce rire résonna si sépulcral si funèbre dans les échos tranquilles qu’il s’en épouvanta lui-même.

Et de suite il songea :

— Il faut que ma physionomie soit véritablement terrible pour causer une telle peur à deux hommes bien armés !

Et aussitôt, obéissant à une impulsion généreuse, il cria en anglais :