Page:Féron - La revanche d'une race, paru dans L'Étoile du Nord, 1927-1928.djvu/281

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la terrible et sanglante affaire de laquelle tu es sorti en lambeaux, mais vivant ?

— J’en garderai toujours l’effrayant souvenir.

— De la bataille… de la mine… je sais. Mais il est un autre incident, qui a suivi le premier de quelques heures ; je veux parler de ce qui est survenu sur la lisière de ce bois où, tout sanglant, agonisant tu demeurais seul.

Jules tressaillit et pâlit.

— Ah ! je vois que tu en as gardé aussi le souvenir. — Ce souvenir, Monsieur l’abbé, répondit Jules d’une voix sourde, je cherche à le rayer de ma mémoire.

— Pourquoi ?

— Par amour pour elle !

— Grande âme ! Je l’avais pensé. Ainsi, c’est « lui » qui fut le coupable ?

— Hélas !

— C’est donc que tu lui pardonnes ?

— Pour elle… oui.

— Et non pour le bon Dieu qui demande de pardonner les offenses ? demanda l’abbé d’une voix lente et grave.

— Pour elle… seule ! monsieur l’abbé, répondit Jules avec un accent énergique.

— Jules !… dit sévèrement l’abbé.

— Monsieur l’abbé, le bon Dieu à qui je rends mille actions de grâces, ne peut défendre qu’un tel misérable échappe à la justice des hommes. C’est le devoir… oui, le devoir de tout honnête homme, comme de tout bon chrétien qui aime la société, de dénoncer de tels coquins à la justice, afin qu’ils reçoivent la punition à leurs crimes. L’ai-je dénoncé, lui ? Non. Pour la première fois j’ai failli à mon devoir d’honnête homme, j’ai failli à ce devoir par amour pour elle !

L’abbé demeura pensif. Tout au fond de lui-même il respectait la logique du jeune homme. Durant une longue minute il parut méditer les paroles du lieutenant. Puis il dit en relevant la tête :

— Jules, tu as peut-être raison… n’en parlons plus. Néanmoins, il faut que je t’apprenne un incident tout récent, l’œuvre — et un peu la mienne aussi — de ton ami défunt, le capitaine Constant. L’autre jour, je t’ai dit comment le capitaine n’avait pas voulu mourir sans que tu fusses vengé. Eh bien…

— Eh bien ?

— Harold a été arrêté.

Jules sursauta, une lividité cadavérique se répandit sur son visage, entre ses lèvres passa comme un gémissement. Il demeura muet. Le prêtre comprit qu’une nouvelle souffrance venait d’ouvrir une plaie à peine cicatrisée dans l’âme du malade. Il reprit sur un ton très compatissant :

— Jules, je t’ai fait mal, n’est-ce pas ? Pardonne-moi, mon garçon. C’était nécessaire.