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On communiquait dans la boutique par une porte vitrée.

Mais avant que Cécile n’arrivât à cette porte, les vitres volèrent en éclats, puis la porte fut poussée d’un coup d’épaule, un homme — un inconnu — bondit en rugissant, culbuta Cécile, repoussa Miss Tracey et disparut.

Au même moment des soldats pénétraient dans la boutique par la fenêtre brisée et clamaient :

— Où est-il ? Où est-il ?…

Cécile s’était relevée. Elle ramassa vivement sa bougie éteinte et courut à la salle pour la rallumer.

Les soldats l’avaient suivie.

— Qui cherchez-vous ? demanda Cécile toute étourdie encore de sa chute.

— Un espion… Nous le poursuivons depuis la haute-ville. Nous allions le rattraper, quand il a tout à coup enfoncé votre volet et la fenêtre.

— Connaissez-vous cet espion ? demanda encore Cécile.

— Non… Mais l’on suppose que c’est un américain.

— Mais alors il doit être dans la maison !…

Personne n’avait vu l’homme en effet sortir par la porte de derrière qu’il avait refermée sur lui.

Cécile et les soldats allèrent dans la boutique. Devant la fenêtre défoncée hurlait et s’agitait une tourbe sombre.

La boutique fut fouillée… puis les pièces en arrière de la maison. L’inconnu demeura introuvable.

Les soldats revinrent dans la boutique.

À la seconde même des cris retentirent au dehors :

— L’espion !… l’espion !…

Les soldats se précipitèrent par la fenêtre brisée.

La tourbe sombre et hurlante prenait sa course vers l’ouest, clamant :

— L’espion !… l’espion !…

Alors Cécile s’aperçut de la disparition de Miss Tracey.

Elle poussa un cri d’alarme.

Soudain un homme enjamba la fenêtre de la boutique en demandant :

— Que se passe-t-il donc ici, Cécile ?

C’était Lambert.

La jeune fille se jeta dans ses bras en pleurant.

— Allons ! reprit Lambert, dis-moi ce qui vient de se passer ici !

Cécile lui narra la scène dont elle avait été témoin.

— Et Miss Tracey a disparu dans l’entrefaite ? demanda le lieutenant.

— Oui… j’étais si préoccupée…

— Oh ! murmura Lambert, il n’y a plus de doute maintenant : cette Miss Tracey est une traître !

— Mais, toi, Lambert, demanda à son tour Cécile, d’où viens-tu ? Peux-tu m’expliquer comment s’est produite cette terrible alarme ?

— Je sais peu de chose, et les esprits sont tellement troublés qu’il n’y a pas moyen de rien savoir de précis.

— Mais encore ?

— Il parait qu’un espion américain a réussi à escalader les murs de la ville près de la batterie de la porte Saint-Jean. On dit même qu’il y a assassiné la sentinelle qui gardait la batterie.

— Ce n’était pas une attaque ?

— Non. Mais les coups de feu tirés par les autres sentinelles ont de suite mis la ville sens dessus dessous.

Par la fenêtre défoncée on entendait la foule qui s’éloignait et criait sans cesse :

— L’espion ! l’espion !…

— Il faut dire ici que ce n’était pas après l’inconnu qui avait enfoncé la fenêtre de Mme Daurac que cette foule courait, mais après l’ombre de Miss Tracey.

En effet, quand la jeune fille eut vu Cécile renversée par terre et sa bougie éteinte, et après qu’elle eût été elle-même violemment rudoyée par l’inconnu, elle vit la porte ouverte conduisant dans la boutique. Elle n’hésita pas une seconde. Elle gagna la boutique. Là, elle dut se dissimuler sous un comptoir pour échapper aux regards des soldats qui pénétraient dans la maison. Mais quand elle les vit suivre Cécile à l’arrière, Miss Tracey se leva et gagna furtivement la fenêtre brisée. Il y avait dans la rue du monde qui s’agitait et vociférait, et de plus loin elle entendit d’autre monde accourir. Des lueurs de lanternes brillaient çà et là. Près de la fenêtre des groupes se formaient. Bravement Miss Tracey enjamba cette fenêtre et sauta sur la rue. Mais à sa vue il se produisit une véritable confusion : la foule croyait que c’était l’espion qui reparaissait. Des coups de fusil éclatèrent.

Miss Tracey sortit son pistolet et le déchargea sur les groupes qui reculèrent, rugirent, poussèrent une effroyable clameur et se jetèrent sur la jeune fille. Mais elle, en un bond de jeune biche, leur échappa et elle prit