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LA TAVERNE DU DIABLE

Carleton sourit et dit en jetant le papier sur sa table :

— Ceci, mademoiselle, est signé UN PATRIOTE.

— Quel menteur que ce Patriote ! gronda la jeune fille en frémissant de courroux.

— Il a certainement menti sur un point : ce plan dissimulé derrière la pendule chez vous. Or, j’ai fait faire une perquisition, et le plan n’était pas là !

— Par Turner, n’est-ce pas ?

— Oui. — Eh bien ! monsieur le gouverneur, le plan a été enlevé de la tablette par une autre personne ! dit Cécile en souriant.

Carleton bondit.

— Quoi ! s’écria-t-il, allez-vous me dire que le plan dont parle la lettre était réellement dans votre maison et derrière cette pendule de la cheminée ?

— Puisqu’on vous l’a écrit, sourit encore Cécile, cela doit être vrai ! Seulement, je dois vous faire observer que ce n’est pas moi qui ai déposé ce plan derrière la pendule !

— Non ?… fit Carleton excessivement médusé.

— C’est la même personne qui allait le livrer au major L… Cette personne a été arrêtée à la barricade dont fait mention cette lettre, puis elle a été amenée chez moi pour demeurer sous ma surveillance en attendant que vous eussiez été prévenu.

— Oh ! oh ! quelle histoire me racontez-vous là, mademoiselle Cécile ?

— Général, la mienne, mon histoire est vraie, je vous prie de le croire, répliqua fortement Cécile.

— C’est bien, je vous crois, sourit le général. Continuez.

— Or, peu après que cette personne eut été amenée chez moi, s’est produite l’alarme qui a bouleversé la cité endormie. Remarquez que cette personne, qui se trouvait comme prisonnière, possédait sur elle une pièce à conviction très dangereuse.

— En effet.

— Et je me rappelle avoir laissé cette personne seule avec ma mère dans la pièce où le plan a été déposé, et ma mère, à demi morte de peur, ne pouvait surveiller les mouvements de l’étrangère qui était là.

— C’était une étrangère ? fit Carleton très intéressé.

— Ai-je dit une étrangère ? demanda Cécile en rougissant. Et bien ! c’est vrai, puisqu’il faut dire la vérité. Alors est survenu ce vacarme devant notre boutique, puis j’entendis que notre volet était enfoncé, que la fenêtre était brisée… Je saisis une bougie et je me précipitai vers la boutique. Devant moi la porte vitrée fut à son tour cassée et un inconnu bondit, me renversa, et s’enfuit par la porte d’arrière de notre maison.

— C’était l’espion ? demanda Carleton.

— Je ne sais pas. Je tombai et ma bougie s’éteignit subitement. Je n’eus pas le temps de voir l’homme. Mais des soldats venaient en même temps d’envahir notre domicile, ils pensaient que l’espion, comme ils appelaient aussi l’inconnu, était caché dans la maison. Mais non. Ils s’en allèrent bientôt alors que la foule de badauds au dehors se mettait à crier : L’espion ! l’espion !… Alors, général, je constatai que la personne qui était ma prisonnière, avait disparu.

— Tiens ! fit Carleton vivement intéressé. Pourtant, reprit-il aussitôt, vous ne m’avez pas dit le nom de la personne qui vous avait confié la surveillance de cette « étrangère », comme vous l’avez appelée vous-même.

— Non ?… C’était Lambert.

— Ah ! ah !…

— Or, cette « étrangère » savait que Lambert et moi avions découvert sa trame ou tout au moins une partie de cette trame, elle me redoutait et me haïssait, elle trouva donc une opportunité de se venger de moi en essayant de m’incriminer tout en se débarrassant d’un parchemin dangereux. Est-ce clair, général ?

— Ce serait plus clair si vous m’instruisiez maintenant du nom de cette personne… cette « étrangère ».

— Je ne suis pas une dénonciatrice, mais pour me disculper, je la dénoncerai, si c’est nécessaire.

— C’est absolument nécessaire, mademoiselle, répondit gravement Carleton.

— Général, cette personne s’appelle Miss Tracey Aikins.

— Miss Tracey ! s’écria Carleton avec stupeur.

— Et les autres personnages de ce complot, puisque je dois me défendre et sauver en même temps la réputation de Jean Lambert, ce sont John Aikins, le major Rowley…

— Le major Rowley !… s’écria Carleton en se levant cette fois.

— Eh bien ! fit Cécile en riant, Rowley n’est-il pas le neveu de Lymburner ?

— C’est vrai, admit Carleton en se rasseyant, je savais que Lymburner est partisan des Américains. Mais de là à nous livrer…