Page:Féron - Le Capitaine Aramèle, 1928.djvu/21

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nueux se dirigea vers le hameau. Il en était tout près, et le chemin qu’il suivait le traversait et en faisait la rue principale. Il s’arrêta encore, méditatif, rêveur.

Ses yeux voyaient des maisons aux formes et aux contours français, aux couleurs françaises. Dans la rue, des enfants s’amusaient. Sur le pas des portes des femmes, jeunes et joyeuses, s’entretenaient, et ces femmes possédaient des physionomies françaises. Mais, chose plus exquise, la langue que parlaient ces enfants et ces femmes, c’étaient la sienne, c’était la langue de France !

— Suis-je déjà en France ? se demanda Aramèle avec un joyeux émoi.

Il était fatigué. Du regard il chercha autour de lui un endroit pour se reposer à l’ombre de grands peupliers qui, comme des sentinelles géantes, gardaient l’entrée du village. Une femme, jeune et fraîche, revenait de la rivière portant un sceau d’eau. Elle s’arrêta un peu surprise près du capitaine et demanda d’une belle voix française :

— Que cherchez-vous, monsieur ?

— La France… répondit Aramèle sans trop savoir ce qu’il disait, très troublé devant cette soudaine apparition d’une femme française.

— La France ?… balbutia la jeune femme en rougissant sous le regard ardent du capitaine… Elle est loin, ajouta-t-elle avec un soupir.

— Mais non… allait s’écrier Aramèle, la France, elle est ici… je la vois, je l’entends, je foule du pied son sol cher…

La jeune femme, gênée, s’était vivement dirigée vers le village.

Le capitaine s’y dirigea à son tour.

En posant ses pieds sur la rue, et derrière un bouquet massif de peupliers, il vit une église, ou plutôt une chapelle avec son petit clocher qui ne dépassait pas la cime des peupliers. Il s’arrêta devant, enleva son feutre et regarda la croix d’acier étinceler sous le soleil. Aramèle contempla longuement cette humble chapelle, avec ses murs tout blancs de chaux nouvelle, ses petites fenêtres ogivales, son perron, son clocher. Il se souvenait qu’il avait vu des chapelles toutes semblables quelque part en Bretagne, en Touraine, en Picardie, dans la Champagne…

Passé l’église, et en allant vers le rivage du fleuve, le capitaine découvrit l’enseigne d’une modeste auberge… Une auberge !… Ceci parut une trouvaille à Aramèle, car il était fatigué et il avait faim et soif. Il se dirigea vers cette auberge d’un pas hâtif. Une jeune fille, rose, fraîche, souriante, lui fit bon accueil.

— Monsieur vient-il de loin ? demanda-t-elle.

— Hélas ! mademoiselle, je viens d’un pays étranger !

— Et où va monsieur… car monsieur a l’air bien fatigué !

— Je vais en France, mademoiselle !

— En France ! fit la jeune fille avec surprise. Pauvre France ! murmura-t-elle… ah ! vous êtes bien chanceux, vous, d’y retourner ! Nous ici… ah ! la reverrons-nous jamais !…

Aramèle buvait ces paroles françaises, il dévorait du regard la belle enfant avec son joli corsage vert, sa petite jupe de coton jaune, son petit bonnet de toile coquettement posé sur une masse de beaux cheveux bruns.

— Il me semble… et je crois me le rappeler… que j’ai vu jadis en France une jeune fille qui avait les traits de celle-ci ! Une chose certaine, elle est aussi française que celle de là-bas !

Aramèle allait peut-être se laisser aller à quelque longue rêverie, quand la jeune fille demanda de sa voix suave :

— Monsieur désire-t-il se reposer avant de continuer sa route ?

— Je le veux bien, mademoiselle.

Et il demanda aussitôt :

— Pouvez-vous me dire, mademoiselle, où va ce petit navire qui appareille ?

— Il va à Québec, monsieur !

— À Québec…

Aramèle avait tressailli et pâli. Rudement il dit :

— C’est bien, mademoiselle… je vous prie de me servir une collation.

— Ici, monsieur… ou bien dans la grande salle ?

— Ici, mademoiselle… je m’y sens très à l’aise.

C’était une longue et large galerie qui attenait à la façade de l’auberge et qui avait vue sur le fleuve et sur l’unique place du village. De cette place on descendait vers la plage. Là, un quai s’avançait dans les eaux vertes et clapotantes, et à ce quai un petit navire hissait ses voiles pour prendre la route de Québec.

Des lierres grimpaient à la galerie et aux murs de l’auberge. Quelques lilas commençaient à fleurir et exhalaient leur odeur