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Page:Féron - Le Capitaine Aramèle, 1928.djvu/31

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adoptée comme sa fille, sa joie fut presque de l’orgueil. Elle se sentit éprise d’une grande sympathie pour cette étrangère qui parlait avec tant d’admiration de son père adoptif, et elle sentit en même temps naître en son cœur un doux sentiment de reconnaissance.

Mais aussi naissait la curiosité de savoir le nom de cette belle jeune femme : qui donc était-elle ? Thérèse reconnaissait de suite qu’elle n’était pas française, bien qu’elle s’exprimât en un français correct : elle conservait un fort accent anglais. Pour apaiser l’aiguillon de sa curiosité, la jeune fille décida de se renseigner.

— À qui ai-je l’honneur de parler, madame ? demanda-t-elle.

— Je suis Mrs Whittle… Avez-vous entendu parler du major Whittle ?

Le major Whittle !…

C’était une révélation que ce nom !

Oui, Thérèse n’avait pu oublier ce que lui avait dit Aramèle de ce major qui s’était avoué un ennemi des Canadiens. Elle se souvenait que c’était bien ce major Whittle qui avait intimé à Aramèle l’ordre de cesser sa classe au mois de mai dernier ! C’était ce même major qui avait commandé au capitaine de saluer le drapeau inconnu ! Si donc ce major était un ennemi des Canadiens et d’Aramèle, c’était également un ennemi pour Thérèse. Et voilà, chose étrange, qu’elle se trouvait face à face avec la femme de ce major anglais, et que cette femme, dont elle ne pouvait nier ni le charme ni l’amabilité, lui faisait l’éloge de son père adoptif, le Capitaine Aramèle !

Thérèse, sans le vouloir, fut prise de méfiance, et pour ne pas laisser voir ses sentiments à cette Mrs Whittle qui la regardait attentivement, la jeune fille baissa les yeux.

Croyant que la gêne était la cause du trouble qu’elle devinait chez Thérèse, Mrs Whittle affecta une plus grande aménité en demandant :

— Et où allez-vous ainsi, ma petite amie ?

La jeune fille releva ses yeux bleus et profonds pour répondre :

— Je vais faire nos provisions, madame.

— Comme cela se trouve ! J’y vais aussi et, si vous voulez, nous ferons route ensemble : ce sera plus intéressant pour moi, et aussi pour vous, peut-être.

Sans façon elle prit le bras de Thérèse et l’entraîna.

La jeune fille n’osa pas résister, de crainte de passer pour une petite sauvagesse. D’ailleurs elle ne pressentait aucun danger : cette jeune femme si bienveillante, malgré le nom qu’elle portait, ne paraissait pas capable de méditer et encore moins d’accomplir une action mauvaise.

Il est vrai aussi que la mise très élégante et très riche de Mrs Whittle — tout emmitouflée de belles fourrures de castor — gênait un peu Thérèse qui, par-dessus sa robe de laine bleue n’avait qu’un pauvre manteau d’étoffe brune sans la moindre garniture. Sur ses beaux cheveux blonds une chétive toque de laine noire se posait, quand Mrs Whittle portait un superbe chapeau à plumes d’autruche…

Mais il importait de faire bon visage contre mauvaise fortune, et l’orpheline se soumit à l’inexorable.

Mrs Whittle fit entrer Thérèse dans la boutique d’un épicier anglais à qui elle commanda :

— Veuillez servir mademoiselle, et je réglerai la note.

Le marchand s’inclina jusqu’à terre.

Thérèse demeura si surprise par la générosité de la jeune femme que, sur le coup, elle ne put trouver aucune parole de protestation ou de remerciement… elle rougit très fort dans son embarras.

Mrs Whittle sourit avec un beau petit air protecteur et expliqua ceci :

— Mademoiselle, c’est aujourd’hui la journée de mon vœu, un vœu que j’ai promis d’accomplir durant toute une année. Un jour par semaine, je me suis engagée à dépenser en bonnes œuvres la somme de cent livres sterling. La première jeune fille que je rencontre ce jour-là, je me l’attache comme ma collaboratrice et je la récompense par de menus cadeaux. Or, ce matin la Providence vous a placée sur mon chemin, et je vous prie de ne pas considérer les présents que je vous ferai comme une aumône, mais bien comme un gage d’amitié.

Et, se penchant, Mrs Whittle très tendrement et très hypocritement embrassa le front de Thérèse, dont la confusion grandit.

Ne pouvant mettre en doute cette histoire de vœu, Thérèse remit à l’épicier la liste des effets dont elle avait besoin pour cette journée-là.

De l’épicier on se rendit dans quelques misérables masures de pauvres artisans où