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Thérèse ne connaissait pas le major, mais Hampton ne lui était pas inconnu. Deux fois elle l’avait vu le même jour dans la maison d’Aramèle, lorsqu’il était venu donner des ordres au capitaine. Et depuis ce jour elle avait gardé l’impression que ce jeune homme était pour elle comme pour Aramèle un ennemi dangereux.

Mais le lieutenant, lorsque Mrs Whittle le présenta à l’orpheline, fit montre de la plus grande courtoisie, tandis que le major au même instant disait d’une voix ronde :

— Oh ! j’ai souvent entendu parler de cette jolie demoiselle Thérèse, et, ma foi, je la trouve tout à fait ravissante. Mon amie, ajouta-t-il en regardant sa femme, j’avais invité le lieutenant Hampton à venir dîner avec nous, et à présent je pense qu’il serait tout à fait dans la note d’inviter mademoiselle à être des nôtres. Le dîner sera beaucoup plus intéressant pour le lieutenant qui, ce me semble, ne prend guère de plaisir en compagnie de gens mariés.

Ces paroles, tombées de la lèvre un peu moqueuse du major, ne semblèrent pas produire un très gros effet ni sur Hampton qui considérait avec attention Thérèse, très gênée, ni Mrs Whittle qui se mit à rire aux plus beaux éclats.

Celle-ci répondit :

— C’est une superbe idée que vous avez eue là, mon ami, d’inviter le lieutenant : et j’ai eu une idée originale d’amener mademoiselle Thérèse pour visiter notre maison. C’est donc convenu, mademoiselle, ajouta la jeune femme en souriant à Thérèse, et je vous garde à dîner avec nous !

Très confuse, la jeune fille balbutia :

— Madame, je vous remercie, mais il faut que je retourne chez nous.

— Craignez-vous qu’on s’inquiète à votre égard ?

— Oui, madame, Étienne et monsieur le capitaine seront très inquiets de ne pas me trouver à la maison à leur retour.

— Bah ! se mit à rire Whittle, je vais dépêcher un serviteur avec un mot pour informer vos gens qu’on vous ramènera dans la soirée. N’est-ce pas, Katie ?

— Certes, et j’écrirai moi-même ce mot.

— Et vous l’enverrez vous-même ? C’est cela.

— Et moi, intervint Hampton avec un aimable sourire à l’adresse de la jeune fille, je me charge de reconduire mademoiselle jusqu’à sa porte.

Cette fois il dévora du regard la beauté émue et inquiète de Thérèse.

Mrs Whittle s’approcha de la jeune fille et la prit par un bras, disant :

— Venez dans mon boudoir où je vais écrire un mot au capitaine Aramèle. Ou préférez-vous que j’adresse cette note à votre frère ?

— Madame, je vous en prie, bégaya la jeune fille, je veux m’en aller.

— Vraiment, mon enfant, vous êtes trop craintive et trop sauvage. Non, non, vous ne vous en irez pas ainsi. Il faut vous divertir un peu. De nos jours il importe à une jeune fille de connaître le monde, et vous êtes précisément à l’âge ! Ah ! votre âge, en effet ?… je ne vous l’ai pas demandé.

— Seize ans, madame.

— Seize ans !…

Mrs Whittle regarda Hampton qui cligna de l’œil en souriant. Elle se mit à rire.

— Seize ans… répéta-t-elle en embrassant Thérèse sur le front. Mais à quatorze ans, moi, j’étais déjà une mondaine !… Venez, mademoiselle !

De force presque elle entraîna la pauvre Thérèse dans le boudoir.

Mrs Whittle s’assit à un petit secrétaire et se mit à écrire une épître quelconque.

Au bout d’un moment elle sonna une servante à qui elle dit :

— Cette lettre est pour le capitaine Aramèle. Veuillez charger John qui ira la porter à son adresse sans retard.

La servante s’inclina et se retira. Mrs Whittle l’accompagna jusqu’à la porte où elle lui murmura quelques paroles mystérieuses que Thérèse ne surprit pas.

Avant de disparaître la servante dit tout haut :

— C’est bien, madame, j’enverrai John de suite.

Lorsque Mrs Whittle revint à Thérèse, elle avait à ses lèvres un sourire ambigu, et elle dit avec une grande affection :

— Ma petite chérie, je suis bien contente que vous restiez encore quelques heures avec nous. Comme vous le voyez, vous n’avez plus besoin de vous inquiéter, le capitaine Aramèle saura où vous êtes et il saura que vous êtes entre bonnes mains !

Entre bonnes mains… Ah ! si Thérèse avait pu seulement deviner ce que voulaient dire ces paroles ! Mais il valait mieux pour la pauvre enfant qu’elle ne sût pas… Oui, elle était de fait entre très bonnes mains…