Page:Féron - Le Capitaine Aramèle, 1928.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

haine et de fureur. Il se releva, tira son épée et se jeta contre l’inconnu.

Celui-ci saisit un fauteuil et le lança à la tête du lieutenant. Lui, voulut parer ce projectile nouveau genre de son épée, mais l’épée se brisa et le fauteuil, atteignant Hampton à la tête, le renversa de nouveau sur les dalles. Le lieutenant, cette fois, demeura inanimé.

L’inconnu se tourna alors vers la jeune fille et dit avec un sourire doux :

— Mademoiselle, je devine que vous avez été emmenée par contrainte dans ce bouge. Si vous voulez m’indiquer votre demeure, je vous y conduirai.

Il s’était exprimé dans un français correct, sauf un léger accent britannique.

Émue de douce joie et pleine de confiance en ce beau et brave jeune homme, la jeune fille lui dit l’endroit qu’elle habitait en la basse-ville.

— C’est bien, répliqua le jeune homme, je vais commander une voiture aux serviteurs de la maison.

Et Hampton n’était pas encore revenu à la connaissance, et personne encore, hormis quelques domestiques, n’avait eu vent de l’incident qui s’était passé, que le jeune étranger et Thérèse partaient pour la cité.


XI


Aramèle avait quitté sa maison en disant sur un ton décidé :

— Quand je devrais aller sommer le gouverneur de retrouver Thérèse…

Il partait, la tête pleine de colère, mais aussi le cœur rempli d’angoisse.

De même qu’avaient fait Léon et Étienne, le capitaine se rendit d’abord chez les Whittle. Il fut reçu par une fille de chambre qu’il interrogea adroitement. Puis s’étant aperçu que cette fille se contredisait dans ses réponses, et soupçonnant que Thérèse avait été amenée dans cette maison, Aramèle essaya de persuader la fille de lui dire la vérité. Comme celle-ci, pour obéir à des instructions de sa maîtresse, essayait de donner le change au capitaine, lui employa enfin les menaces,

— Il vaut mieux pour vous que vous me disiez de suite la vérité, sinon je vous conduis chez le gouverneur, et pour vous être rendue complice d’un rapt odieux, je vous fais jeter en prison.

La fille de chambre eut peur et elle confessa que Mrs Whittle et son mari avaient conduit Thérèse au « King’s Inn ».

Ce nom fit frémir le capitaine. Il n’était jamais allé à cet endroit, mais il en avait entendu parler comme d’un lieu de débauche. Aussi se fit-il aussitôt indiquer le chemin à suivre, et il partit à pied.

La nuit était froide, le firmament tout étoilé, et la lune nouvelle allait bientôt se perdre à l’horizon de l’ouest. Quand il fut sorti de la ville, il traversa le faubourg tranquille, ne croisant que quelques rares piétons. Puis il traversa le pont de la rivière Saint-Charles et s’engagea d’un pas plus accéléré sur la grande route. La nuit n’était pas très noire, mais elle était encore trop sombre pour reconnaître les physionomies humaines. Aussi, quand Aramèle fut croisé par un cabriolet qui passait au trot et qui gagnait la cité, ne put-il voir les occupants de la voiture. Et puis, que lui importait ce cabriolet ? Il allait chercher Thérèse au King’s Inn !

Déjà il apercevait dans le lointain les lumières de l’auberge.

Le capitaine avait marché plus d’une demi-heure, lorsqu’il frappa à la porte d’entrée.

Un domestique vint ouvrir.

À cet instant la danse battait son plein.

— Mon ami, dit Aramèle au serviteur, je désire parler à mademoiselle Thérèse Lebrand.

Le domestique, qui ne connaissait pas le nom de Thérèse, parut s’étonner fort.

— Connais pas, fit-il en hochant la tête.

— Où est ton maître ? demanda Aramèle d’une voix rude cette fois.

Le ton de cet étranger sembla agacer le domestique. Il répliqua d’un ton non moins rude que celui d’Aramèle :

— Dites-moi exactement ce que vous voulez, sans me commander de la sorte !

Mais Aramèle fut bien autrement piqué par le ton du domestique que ne l’avait été ce dernier de l’accent du capitaine français.

Il reprit sur un ton autoritaire et menaçant :

— J’ai dit que je veux parler à ton maître !

Comme le valet voulait faire mine de repousser la porte sur lui, le capitaine lui saisit une oreille qu’il pinça fortement.

Le serviteur fit entendre un grognement de douleur.

Aramèle tordit l’oreille et commanda :

— Conduis-moi… marche !

Le domestique poussa un cri déchirant.