Page:Féron - Le Capitaine Aramèle, 1928.djvu/63

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cieuse, médusée, laissant ses regards hébétés errer de Spinnhead au capitaine.

Spinnhead était livide.

Whittle cria :

— C’est un accident… le combat va reprendre !

Léon DesSerres répliqua :

— Votre homme est désarmé, et la victoire est à nous !

— Il n’a pas été désarmé, riposta aigrement Parks, c’est un accident !

Un murmure menaçant s’éleva dans la foule, un murmure qui semblait prendre parti pour Spinnhead et ses témoins.

Alors on vit le jeune duc de Manchester se lever, s’avancer au bord du kiosque et prononcer d’une voix nette et impérative :

— Messieurs, Sir James est bel et bien désarmé. Toutefois, il a un droit de revanche, si l’adversaire y consent.

Le jeune duc en même temps arrêta son regard sur Thérèse, qui lui exprima un sourire de reconnaissance.

La victoire appartenait donc au capitaine français.

Les murmures avaient cessé.

Le gouverneur se leva à son tour et demanda au capitaine :

— Eh bien ! monsieur, êtes-vous disposé à donner à Sir James sa revanche ?

Pour toute réponse Aramèle se tourna vers Spinnhead et dit seulement :

— Monsieur, reprenez votre épée !

Parks avait ramassé la rapière qu’il tendit au bretteur. Celui-ci l’accepta non sans esquisser un sourire de joie malicieuse.

La foule salua par des applaudissements la magnanimité du capitaine français, dont on reconnaissait maintenant l’habileté extraordinaire. Mais cela n’empêchait pas la grande majorité des assistants de penser que Spinnhead avait été désarmé par pur accident. Mais ceux-là allaient bientôt être fixés à jamais.

Les épées venaient de s’engager à nouveau.

Spinnhead, reposé, avait repris de suite l’offensive. Mais il ne put la conserver : Aramèle, après avoir paré les deux ou trois premières attaques, reprit l’offensive par une feinte habile, et alors la foule vit une chose merveilleuse et terrible à la fois.

Aramèle venait de crier de sa voix claironnante :

— Pour la France !

Il avait subitement élevé son épée, il s’était tout à fait découvert et avait laissé libre chemin à la rapière de Spinnhead, et la chose était si inconcevable qu’on pensa que le capitaine était devenu soudainement fou. Qu’importe ! si Aramèle vraiment avait perdu la tête, Spinnhead conservait bien solidement la sienne, et profitant de la belle opportunité, il lança la pointe de sa lame avec la rapidité de la foudre. Mais elle n’alla pas loin : comme un éclair également la rapière d’Aramèle descendit, ou mieux elle fendit l’air, ce fut une zébrure magique, imperceptible presque : puis l’on perçut dans le profond silence qui planait sur ces lieux un rapide bruissement, et ce bruissement, tout faible qu’il fut, ressembla à l’ouïe des mortels qui l’entendaient comme un coup de tonnerre. Un cri d’homme, un cri strident qui glaça les sangs de tout le monde, déchira l’espace silencieux, et à la seconde même l’on vit, avec un frémissement d’étonnement et d’effroi, Spinnhead s’abattre lourdement en échappant pour la seconde fois son épée, puis on le vit s’agiter sur le sol une seconde ou deux, étendre les bras, raidir les jambes et demeurer immobile, tandis que de sa poitrine un filet de sang s’écoulait…

Il avait été atteint au cœur par la rapière d’Aramèle.

Une clameur terrible secoua toute l’assistance. On crut saisir comme des cris de colère et de vengeance contre le capitaine français, quelques coups de pistolet éclatèrent et des balles sifflèrent aux oreilles d’Aramèle qui, lentement, remettait sa rapière au fourreau.

Le duc de Manchester bondit à l’avant du kiosque, et faisant un geste aux soldats de la garnison, il clama d’une voix de tonnerre :

— Feu sans pitié sur cette foule si un coup de pistolet retentit encore !…

Un silence effrayant s’établit pour un moment. Puis une pluie de fleurs vint tomber aux pieds d’Aramèle, et cette fois un tonnerre d’applaudissements éclatait de toutes parts. Mais Aramèle n’était plus en vue : il venait de s’éclipser dans les buissons voisins suivi de ses seconds ainsi que de M. DesSerres et de Thérèse.

La France demeurait victorieuse…

Ce même soir, alors qu’on fêtait la belle victoire au logis d’Aramèle, celui-ci disait à ses amis qui l’écoutaient avec ravissement :