Page:Féron - Le Capitaine Aramèle, 1928.djvu/68

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eux épaulèrent leurs fusils et mirent le capitaine en joue.

Aramèle ne broncha pas, il comprit que sa dernière heure était venue et il décida de mourir en brave, sans peur, sans crier merci.

L’homme masqué dit :

— Capitaine Aramèle, si vous voulez me remettre votre épée, et si vous me jurez de repasser en France par le prochain navire, je vous laisserai la vie sauve !

Aramèle ricana.

— Remettre mon épée, demanda-t-il, de quel droit ?

— Rendez-la contre la force ! répliqua durement l’homme masqué.

— La rendre ? Allons donc ! fit narquoisement le capitaine. Vous savez bien qu’une épée comme la mienne ne se rend jamais !

Et à la lueur des flambeaux il fit étinceler la lame de sa rapière.

— Qu’on vienne la prendre ! ajouta-t-il, défiant et redoutable.

Puis il la fit tournoyer dans l’espace et si rapidement, si terriblement, que les deux porteurs de flambeaux reculèrent comme épouvantés.

Aramèle se mit à rire et reprit :

— Maintenant, à mon tour, monsieur, je vais vous dire ceci : si vous voulez me rendre cette jeune fille que vous avait fait enlever par vos vilains maraudeurs, je vais m’en aller avec elle, et je vous promets que vous ne serez pas inquiétés, ni vous ni ces hommes. Sinon…

— Sinon ? sourit l’homme masqué avec sarcasme.

— Sinon, je vais vous passer sur le ventre !

Ce disant il fit mine de bondir l’épée haute.

— Soldats ! rugit l’homme masqué…

— Arrêtez ! clama Thérèse en se levant et en se précipitant vers l’homme masqué. Et, suppliante, elle ajouta : Prenez ma vie, mais laissez-lui la sienne !

— Qu’il rende son épée ! hurla l’homme masqué.

— Jamais ! jamais ! cria Aramèle.

— Grâce ! grâce ! supplia l’orpheline en se jetant à genoux.

L’homme masqué la repoussa durement et elle roula sur les dalles de la salle.

Cette fois Aramèle bondit pour tout de bon…

Une terrible détonation éclata et fit trembler tout le bâtiment.

Thérèse se dressa sur les pieds en poussant une effrayante clameur. Une épaisse fumée avait empli la salle.

Un moment, un silence de mort plana sur cette scène, puis la fumée peu à peu se dissipa… Alors Thérèse, folle de douleur, hurlante, aperçut tout à coup à travers le mince rideau de fumée qui se dissipait, Aramèle, à genoux, livide, ensanglanté…

Thérèse voulut courir au capitaine.

— Feu ! rugit encore la voix de l’homme masqué.

Cinq autres coups de feu retentirent pour se confondre en un seul.

Aramèle tomba face contre terre, les bras étendus sur sa rapière.

Les soldats et l’homme masqué s’approchèrent rapidement du capitaine. À la même minute ce dernier bondit sur ses pieds, avec sa rapière à la main, poussa un rugissement fauve et fondit sur les soldats. La rapière voltigea deux ou trois secondes et deux des soldats s’abattirent sur les dalles.

Mais, avant que le capitaine n’eût fait une autre victime, l’homme masqué l’avait ajusté de son pistolet et il avait fait feu à bout portant.

Aramèle ne tomba pas, et chose étrange, il se tourna vers son assassin en souriant.

Thérèse, à genoux, mains crispées, pleurait toujours en implorant le ciel.

L’homme masqué, croyant avoir manqué Aramèle, tirait de ses vêtements un autre pistolet.

À cette minute précise on vit le capitaine chanceler, fermer les yeux, et l’on vit sa main crispée sur la poignée de la rapière se détendre lentement, puis laisser tomber la lame.

— Ramassez cette épée ! ordonna aussitôt l’homme masqué.

Un soldat se précipita…

Cet ordre parut faire renaître Aramèle. Il se raidit violemment, juste comme il allait tomber, il se baissa, saisit comme avec furie sa rapière et, d’un geste prompt, il appuya la poignée contre le parquet, dirigea la pointe contre sa poitrine, et, regardant l’homme masqué avec une sorte de défi insolent et narquois, il bégaya :

— Qu’on vienne me la prendre !

Lentement il appuya sa poitrine contre la pointe et se pencha… La lame flexible plia… elle pénétra dans la chair… Aramèle,