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LA GUERRE ET L’AMOUR

tes et de quelques figurines et statuettes de la Vierge et autres saints et saintes. Car elle était pieuse, cette Louise, et elle n’était pas sans regretter la chapelle du couvent de Notre-Dame et l’église de Louisbourg.

Max, qui cherchait inlassablement du nouveau et qui voyait grand, grand comme les immenses forêts qu’il avait parcourues, grand comme la mer elle-même, médita la construction d’une chapelle, en appentis, à une extrémité de la maison et, justement, au bout de la grande salle commune. Une porte pratiquée dans le mur donnerait accès à la chapelle, Ce fut tôt fait. En moins d’un mois, l’Indien avait exécuté son plan. Dès lors, tous les soirs et tous les dimanches, sans oublier les jours de fêtes religieuses, les prières en commun allaient se faire dans la chapelle, devant un Christ en plâtre colorié fixé au mur au-dessus de l’autel. Lorsque l’Indien avait soumis son plan, on s’était dit que l’idée était très bonne. Qui pouvait dire qu’un jour prochain un missionnaire ne viendrait pas, par aventure ou autrement, visiter la colonie de l’île Saint-Jean et les habitants de la Cédrière ! Alors, on aurait une chapelle à sa disposition pour les offices religieux. Ah ! ce Max, en avait-il des idées… et, pour le mieux, des idées toutes très acceptables.

Max, comme on sait, était chrétien, ayant été baptisé ; et, à Louisbourg, il avait souvent, peut-être plus par simple curiosité qu’autrement, assisté aux offices religieux du dimanche. Or à la Cédrière, Louise, chaque dimanche, lisait, en famille réunie à la chapelle, l’ordinaire de la messe. Pour donner plus d’analogie à cette cérémonie, Max allumait des cierges à l’autel, puis il faisait brûler, par imitation, de la gomme de sapin, dont l’odeur lui rappelait celle de l’encens. Par là encore il entendait faire plaisir à Louise et lui démontrer qu’il avait, lui aussi, une grande foi et une grande piété. Louise et ses parents trouvaient amusante la naïveté de l’Indien, et quoiqu’ils doutassent un peu de sa sincérité, ils s’efforçaient, néanmoins, de le féliciter et de l’encourager dans toutes ses fantaisies.

Il est une chose assez certaine, c’est qu’Olivier Rambaud en conseillant au capitaine d’emmener Max à l’île Saint-Jean et en l’assurant que le jeune Micmac lui serait utile, ne s’était pas trompé. Max, en effet, s’était rendu indispensable : il avait jusque-là été comme une providence pour les réfugiés de Louisbourg. Et il semblait qu’on ne pourrait plus désormais se passer de lui et de ses services. Si l’on se trouvait. devant une difficulté quelconque qu’on ne savait pas par quel côté aborder, Max venait à la rescousse et chaque fois il trouvait la solution au problème embarrassant. C’est pourquoi il s’était acquis toute la confiance de la famille. On en était venu à ne plus compter que sur lui, sur les ressources de son esprit comme sur la vigueur de ses bras. Quelle dette de gratitude ne lui devait-on pas ?

Aussi, on ne le traitait plus comme un engagé ou un serviteur, mais comme l’enfant de la maison. En vérité, il remplaçait Aurèle.

Pourtant, cette confiance qu’on mettait en lui était peut-être douteusement placée, car Max, on le sait, avait ses desseins secrets, et là où l’on croyait voir du dévouement pur et simple, ce n’était rien du moins que de l’intérêt. Oui, un intérêt immense qui gouvernait tous ses actes. Son amour ou plutôt sa passion effrénée pour Louise grandissait de jour en jour, au point que le secret qu’il en gardait lui devenait un fardeau insupportable. Et ce fardeau, il sentait qu’il ne le pourrait subir plus longtemps, et il résolut enfin de s’en décharger à la première occasion, quoi qu’il dût lui en coûter. Ah ! oui, cette fois c’était bien décidé… Louise allait savoir qu’elle était aimée de Max.

♦     ♦

L’occasion désirée se présenta par un beau soir tranquille et reposant de juillet.

Le capitaine et sa femme venaient de partir pour aller visiter les champs, où le grain poussait avec vigueur. Louise était restée seule à l’habitation. Assise près de l’étang, elle relisait pour la centième fois, peut-être, un vieux livre de chevalerie. L’histoire se passait au temps des premières croisades. Un jeune et beau cavalier était parti pour aller combattre les terribles Sarrasins, alors maîtres de Jérusalem et des lieux Saints… Il avait laissé en France une fiancée adorée, jeune fille pieuse, bonne et belle. Le chevalier fut absent pendant sept longues et mortelles années. Durant cette absence, de nombreux soupirants défilèrent devant la fiancée, qu’elle repoussa tous les uns après les autres. Elle entendait demeurer fidèle à celui à qui elle avait donné sa foi. Cette fidélité lassa et irrita les prétendants. Usant de mensonge, ceux-ci firent répandre que l’absent avait trouvé la mort sur les champs de bataille de l’Orient. La fiancée ne voulut pas prêter foi à ces rumeurs, elle demeura inébranlable devant