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LA GUERRE ET L’AMOUR

maison de pierre où s’étaient épanouies les heures heureuses de son enfance, du couvent des bonnes religieuses de Notre-Dame, où elle avait fait la classe aux tout petits enfants, et elle regrettait tout ce passé tissé de joies et de bonheur Puis, survenait l’image d’Olivier, du fiancé courtois et galant… Oh ! tout ce beau temps qu’elle avait vécu…

Même ce soir de juillet, dans l’adorable décor où elle se voyait, il y avait en elle un reste de tristesse dont elle n’arrivait pas à se défaire. Il est vrai que la lecture de ce livre de chevalerie lui causait des mélancolies… Elle le posa sur le banc. Elle n’y voyait plus guère, d’ailleurs, dans l’ombre du soir qui s’épaississait. Elle jeta les yeux sur Max, devant elle. Elle le vit penché sur le sable et traçant du bout de son index des signes quelconques, vagues, ressemblant à des figures géométriques. Elle pouvait distinguer parmi ces signes et figures, des cercles et demi-cercles, des lignes droites, courbes ou brisées, des spirales, des verticales, des obliques… Lorsque l’Indien avait aligné un nombre de ces signes, il les considérait méditativement. Parfois il effaçait l’un d’eux, le remplaçant par un autre. Et à le voir ainsi il pouvait faire penser à quelque antique géomètre traçant le plan d’une ville

Par la connaissance qu’elle avait des Sauvages et de leurs coutumes, Louise, voyant ainsi Max faire sur le sable ces signes mystérieux, comprit qu’il avait quelque chose de très important à lui confier et qu’il allait parler. Comme l’orateur avant de se présenter devant son auditoire, l’Indien préparait ces notes, comprises de lui seul.

En effet, tout à coup Max rompit son long silence. Il parla les yeux fixés sur ses signes et figures, comme s’il avait lu un texte quelconque d’imprimerie ou autre.

Il demanda.

— Ma sœur blanche peut-elle écouter Max qui veut parler ?

— Qu’as-tu à me dire, Max ? Je t’écoute.

— Ma sœur blanche lit-elle encore dans son livre d’images ?

Le livre de chevalerie, en effet, était amplement illustré.

— Non, Max, j’ai fermé mon livre. Je n’y voyais plus assez bien.

— Hun ! hun ! Max ne parlera pas longtemps, si ma sœur est fatiguée. Max veut lui apprendre une nouvelle qu’il connaît depuis trois jours et qu’il avait peur de lui dire, parce que ma sœur blanche est très sensible.

— Et quoi, fit la Jeune fille surprise et un peu inquiète, depuis trois jours tu as une nouvelle à me confier, et tu ne parlais pas ?

— Si Max n’a pas parlé, c’est qu’il craignait de faire de la peine à sa sœur.

— Mais alors, cette nouvelle est donc mauvaise ?

— Oui, mauvaise nouvelle pour sa sœur.

— Eh bien ! dis-la. Si ta sœur blanche est sensible, elle tâchera d’être forte.

L’Indien garda le silence. Il relisait ces signes.

Une violente émotion crispait le cœur de Louise. Elle devinait cette mauvaise nouvelle, et sa pensée alla tout de suite vers les deux absents, Aurèle et Olivier. Oh ! il y a longtemps qu’elle était prête à toutes les nouvelles, bonnes et mauvaises. Aussi voulut-elle savoir tout de suite.

— Allons ! Max, j’attends ta mauvaise nouvelle.

Sa voix tremblait, bien qu’elle fit des efforts pour la rendre ferme.

— Que ma sœur blanche écoute. Les deux frères de ma sœur sont partis pour le pays de leurs ancêtres, ils ne reviendront plus.

— Partis pour la France, veux-tu dire ? Après la capitulation de Louisbourg ? Mais je le savais, Max, et tu le savais aussi.

L’Indien branla la tête d’une façon négative et reprit :

— Max veut dire le pays où l’on va après la mort.

Très pâle, Louise ne se troubla pas autrement.

— De qui tiens-tu cette nouvelle ? demanda-t-elle.

— Des hommes blancs du village.

— Et d’où leur est venue cette nouvelle ? Te l’ont-ils dite ?

Il ne répondit pas.

Louise continua de l’interroger, se doutant qu’il y avait là erreur, supercherie ou mensonge.

— Pourquoi ces hommes blancs du village ne sont-ils pas venus nous apporter eux-mêmes cette mauvaise nouvelle ?

— Max ne sait pas, murmura l’Indien.

— Ainsi, il faudrait croire qu’Aurèle et Olivier ont trouvé la mort à Louisbourg ou sur le sol de France ?

— Hun ! hun !

La Jeune fille se tut, gardant ses yeux sur Max, qui se penchait de nouveau sur ses signes, dans le sable, et auxquels il en ajoutait de nouveaux. Louise conservait toute sa tranquillité, finissant par se persuader que Max avait à coup sûr mal interprété certains racontars. Une voix en elle, d’ailleurs, lui affirmait qu’Olivier, du moins, était encore vivant. Et Aurèle aussi vivait… Oui il vivait. D’ail-