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LE DRAPEAU BLANC

apercevait la capitale et ses décombres informes. Nul drapeau ne flottait. Il soupira d’aise.

— J’arriverai peut-être encore à temps ! se dit-il.

Il laboura les flancs du roussin qui hennit de douleur et qui, croyant arriver au bout de cette course étrange, fit un effort et galopa vers la rivière St-Charles.

Mais le spadassin n’avait pas atteint le Faubourg St-Roch que trois coups de canon ébranlèrent l’espace. Une fumée blanche s’éleva au-dessus de la ville, et lorsque cette fumée se fut évaporée, le spadassin vit flotter dans la brise de l’est un drapeau blanc.

Il lança un cri de rage. Et de ses éperons coupant les chairs de l’animal, il parvint à lancer celui-ci dans une course éperdue. Il atteignit la porte du Palais, sauta à terre, attacha la bête hors d’haleine et frappa du pommeau de sa rapière.

La porte fut ouverte, mais une dizaine de gardes la barraient.

— Ordre du général Lévis ! clama Flambard.

— Avez-vous un laisser-passer ? interrogea un sous-officier.

— J’ai dit « ordre du général Lévis » ! Par l’enfer ! ai-je le temps de parlementer ! Arrière !…

Il bondit, culbuta les gardes et de toute la vitesse de ses jambes gagna le Château Saint-Louis.

La place était encombrée d’une foule de peuple et de soldats de la garnison.

— Place ! rugit Flambard, qui, la rapière au poing, se fit jour jusqu’à la grande porte d’entrée. Il passa par-dessus des huissiers, des valets, des gardes et alla donner contre une porte qui céda sous son coup d’épaule. Il se trouva dans la salle des audiences, où M. de Ramezay tenait conseil avec les officiers de la garnison et quelques notables de la cité.

L’apparition de Flambard produisit un choc violent. Tout le monde fut debout. Sur une grande table rectangulaire étaient disposés des feuillets de parchemin couverts d’une encre fraîche.

Un grand silence, fait de stupeur et de crainte, s’établit. Le spadassin marcha rudement à la table, posa un index sur l’un des feuillets et demanda, regardant M. de Ramezay :

— Qu’est-ce cela, Monsieur ?

Ramezay se dressa avec fureur et demanda :

— Et vous, Monsieur, que signifient cette entrée et cet ordre ?

Sans mot dire le spadassin saisit un feuillet, le parcourut du regard et reconnut que c’étaient les termes d’une capitulation qu’on préparait pour les envoyés anglais.

— Une capitulation ! rugit-il. Et sans l’ordre de le faire ?

Son regard terrible pesa sur toute l’assemblée.

— Nous avons cet ordre ! cria Deladier.

— Trahison ! vociféra Flambard. Voici l’ordre du général de l’armée de ne pas livrer la ville… ordre du général chevalier de Lévis !

Et de sa main agitée il brandissait un pli.

Ramezay blêmit.

— Du Chevalier de Lévis ? murmura-t-il. Mais nous avons reçu de lui l’ordre de capituler.

— Eh ! cria Flambard avec rage, c’était un faux message, un complot ourdi par ce traître Bigot dont vous êtes tous, tous sans exception, les dupes ou les serviteurs.

Il ramassa rapidement les feuillets, les roula dans ses mains et les jeta à la figure de Deladier avec cette injure :

— Lâche et traître !…

Des épées sortirent des fourreaux… Mais déjà un huissier annonçait l’arrivée des envoyés Anglais.

— Oh ! s’écria Flambard avec une fureur terrible, au moins votre maître infâme François Bigot ne jouira pas de son triomphe !

Il s’élança dans une ruée effarante ; peuple, valets, gardes, soldats s’écartaient vivement. Il franchit la porte du Palais que les factionnaires eurent soin d’ouvrir prestement, et dévala vers l’habitation de l’intendant près de la rivière St-Charles, sans remarquer que les premiers régiments anglais envahissaient les faubourgs.

Lorsqu’il arriva en vue de la maison de Bigot, il aperçut une berline tout attelée de quatre vigoureux chevaux et entourée d’une quarantaine de gardes.

— Où est votre maître ? leur cria Flambard.

Les gardes, pour toute réponse, descendirent de leurs montures, tirèrent l’épée et firent front devant le spadassin. Le heurt fut terrible. Sous la rapière étincelante du ferrailleur dix gardes tombèrent sur le che-