Page:Féron - Le patriote, 1926.djvu/37

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de pieuvres enragées ! Non ! il fallait que le Canada devînt un pays maître de ses destinées comme de ses libertés ! C’est à ce projet qu’il travailla et pour lequel il sacrifia tout : paix, bonheur, fortune.

Hélas ! si l’effort fut louable, nous savons aujourd’hui que l’entreprise rêvée par Nelson et les Patriotes Canadiens était trop considérable pour les moyens qui étaient à leur disposition. Mais eux-mêmes ne le savaient-ils pas ? Certes ; mais, comme tous les audacieux malheureusement, leurs grands projets se basaient sur des espoirs et des secours en hommes et en matériel de guerre promis par les Américains. Et, en effet, sans ces espoirs, sans ces secours promis, on aurait pu avec quelque raison traiter ces hommes ou d’insensés ou d’énergumènes.

Après les revers éprouvés en 1837, les ravages faits par les troupes anglaises, les douleurs toutes aiguës encore, les deuils encore drapés de noir, il apparaissait une folie de recommencer une expérience si désastreuse. L’amour du pays, la soif de libertés justes et raisonnables, et, peut-être, des défaites à venger étaient chez un peuple aimant la paix du foyer et le respect de ses biens si rudement acquis des stimulants trop irrésistibles. Ajoutons la voix chaude de quelques tribuns populaires, les grands gestes des harangueurs qui, à des promesses d’indépendance accolaient des visions de gloire et de prospérité phénoménale, ou bien étalaient des tableaux de souffrances et d’abjection atroces, et l’on comprendra que le peuple canadien avec en ses veines un sang vif et bouillant ne pouvait résister à l’entraînement. Et une fois le ressort pressé, il était trop tard pour arrêter le mouvement ! Qu’on eût clamé à ce peuple : Folie que tout cela ! Chimère que ces libertés !… Il ne se fût pas arrêté. Et ainsi poussé il pouvait en effet se ruer à toutes les folies.

Les chefs de ce mouvement avaient-ils conscience de leurs paroles brûlantes et de leur action hasardeuse ? Peut-être étaient-ils plus convaincus que ceux qu’ils entraînaient à leur suite de la justice de leur cause et de l’issue heureuse de l’entreprise. Or le docteur Nelson était l’un de ces chefs qui croyaient sincèrement au succès du mouvement insurrectionnel. Et Nelson y croyait si bien qu’il avait risqué tout ce qu’il possédait de meilleur dans l’existence d’un homme. Qu’on ait dit qu’il avait été poussé par un intérêt personnel, cela est possible, et les Canadiens ne sauraient lui en tenir compte. Quand un homme sacrifie tout ce qu’il possède pour une cause publique, il peut en attendre la récompense que le succès justifiera. Autrement la loi naturelle du travail et sa rémunération ne serait plus qu’une utopie. Il est vrai que sa conduite mystérieuse après la bataille d’Odelltown ait pu susciter certaines hypothèses plus ou moins plausibles sur sa sincérité, son courage ou sa vaillance. Mais rien n’a encore été tiré au clair, et tant qu’on aura pas prouvé authentiquement que Robert Nelson fut un traître, la race canadienne-française pourra sans arrière-pensée et sans hésitation honorer cet homme comme l’un de ses plus braves défenseurs.

C’était donc là le chef qu’Hindelang allait suivre jusqu’à la déroute finale, qu’il aurait suivi partout, même malgré ses fautes commises, par la gratitude profonde qu’avait fait naître en lui, étranger au pays, l’amitié spontané du docteur.

Le lendemain Simon Therrier et les marins de l’American-Gentleman reprenaient la route des États-Unis, et Nelson, Hindelang et M. Rochon se dirigeaient sur le village de Napierville où le docteur avait établi ses quartiers généraux. Mais M. Rochon allait, de là, gagner la ville de Montréal pour accomplir certaines missions que lui avait confiées M. Duvernay.

Le village de Napierville était à cette époque l’un des centres les plus importants du district de Montréal. Situés dans une région très fertile, à proximité des grands marchés et entourés d’une population agricole prospère, le village et ses alentours possédaient des hommes honorables et influents qui, par amour pour leur pays, étaient prêts à tout sacrifier.

Le docteur Nelson y fut reçu comme un chef sur qui reposaient tous les espoirs.

Hindelang suscita l’admiration, et ce jeune homme fier, enthousiaste mit une flamme nouvelle dans les cœurs ardents qui l’acclamaient. Il sut rappeler à propos que le sang de la France n’avait pas cessé de rougir les veines de cette nation naissante ; et il remerciait le ciel et le bénissait d’avoir conduit ses pas dans cette France nouvelle qu’il jurait de servir tant qu’un souffle de vie l’animerait.

On lui fit une ovation.

Toutefois, les démonstrations de joie et de patriotisme devaient immédiatement faire place au travail d’organisation.

Le plus grand mérite de Charles Hindelang fut peut-être d’avoir dressé en soldats