Page:Féron - Le patriote, 1926.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Élisabeth jette un appel désespéré et amoureux :

— Hindelang ! Hindelang !

Et elle pousse aussitôt un cri de joie suprême.

Hindelang est là derrière la grille… il accourt, l’œil sanglant, terrible !

Plus loin des prisonniers suivent !

Un garde accourt de l’arrière de la prison, il se rue vers la grille ouverte. Mais Hindelang vient de franchir cette grille, et il est là, maintenant, dans la salle des gardes prêt à défendre Élisabeth.

Et la grille aussitôt est fermée dans un choc d’acier.

Les autres prisonniers sont arrivés trop tard.

Qu’importe ! Hindelang est là rugissant. Il vient de s’emparer d’un banc fait d’un bois lourd que ses bras nerveux élèvent au-dessus de sa tête. À ce moment ce banc est une arme terrible. Et Hindelang s’apprête à écraser les gardes qui s’acharnent à Simon Therrier.

Mais il est trop tard encore. D’autres gardes sont accourus de l’intérieur de la prison. En un moment Hindelang est saisi, renversé, ligoté, emporté… emporté là-haut jusqu’à sa cellule !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L’instant d’après, pendant que Simon Therrier emmène vers la cité Élisabeth presque mourante, Mme de Lorimier, compatissante et oubliant sa propre douleur, vient se pencher sur Hindelang immobile sur son lit, pleurant silencieusement. Elle veut le consoler comme ferait une mère tendre.

— Ah ! madame, murmure-t-il avec un accent désespéré, votre bonté et votre tendresse ne peuvent plus rien, mon pauvre cœur est percé de part en part ! Il saigne tant qu’il cessera bientôt de vivre. Merci, madame, laissez-moi mourir tranquille !

Le chevalier attire doucement, sa femme.

— Oui, chère amie, dit-il, laissons cet enfant à sa douleur, elle est pour lui en ce moment un baume plutôt qu’un poison !

— Pauvre enfant de France ! soupire Mme de Lorimier.


VI

LE GIBET.


Le lendemain, 15 février, quatre fois le bourreau avait laissé tomber sa corde au bout de laquelle une tête humaine avait été attachée.

Front haut, lèvres dédaigneuses, mains liées derrière le dos, Hindelang monta fermement les degrés qui aboutissent à la plateforme fatale.

Le jour était bas, sombre et froid. Tandis que les spectateurs, en bas, grelottaient sous la bise, le condamné demeurait tranquille.

Plus loin la cité demeurait silencieuse comme si elle eût été dans l’attente d’un drame terrible ou d’une catastrophe.

Mais on pouvait percevoir la rumeur confuse qui s’élevait de la masse du peuple pressée contre les murs extérieurs de la prison ; ce peuple était là pour faire ses adieux à ceux qui mouraient pour sa cause.

Au pied du gibet, des gardes, des soldats, des fonctionnaires de la prison, et des spectateurs qui avaient obtenu cette faveur extraordinaire, demeuraient attentifs et silencieux.

Hindelang regarda ce monde profondément, et avant que le bourreau ne lui eût mis le bonnet noir, il prononça d’une voix vibrante qui devait atteindre le peuple plus loin, hors les murs :

— Canadiens, voyez comment meurt un fils de la France et de la liberté… de vos libertés !

La trappe s’abaissa… au bout de la corde on vit frémir une seconde le grand Héros de France, puis plus rien !

Oui, la dette était payée !

Et dans le silence plus tragique encore qui suivit on n’entendit pas les sanglots douloureux d’une jeune fille prosternée au pied de l’autel, en l’église Notre-Dame, où un prêtre disait la messe.

Non, cette foule muette et horrifiée, cette foule parmi laquelle tant de remords ont dû s’agiter, n’entendit pas ce vœu d’une enfant canadienne et française murmuré au Dieu des nations :

— Seigneur, acceptez la douleur d’une veuve qui, de ce jour, se voue tout entière