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prie donc de me guider à l’appartement que vous voulez bien mettre à ma disposition.

— Venez, je vous conduis. Ah ! à propos… vos bagages ?

— Je les ai laissés au dépôt du débarcadère.

— Ils sont nombreux ?

— Non… deux coffres et deux petites valises.

— C’est bien, je les enverrai chercher demain matin. Venez !

L’aubergiste précéda le jeune homme à travers la salle commune, pénétra dans un réfectoire tout plein de bonne fraîcheur et de parfums divers. Le jeune étranger remarqua, malgré la clarté diffuse qui régnait là, quantité de jardinières disposées çà et là desquelles émergeaient en gerbes ruisselantes les fleurs d’Amérique. Il vit encore que les tables étaient recouvertes de nappes bien blanches sur lesquelles s’étalaient de nombreuses argenteries aux reflets pâles. Il se serait complu à admirer davantage le bon confort qui l’entourait et à respirer cette atmosphère embaumée, mais il dut suivre l’aubergiste, qui montait déjà un large escalier recouvert d’un épais tapis persan.

Après avoir monté quelques marches, l’aubergiste s’arrêta tout à coup pour demander à son nouvel hôte :

— Avant de vous retirer, monsieur, désirez-vous prendre un cordial… boire un bock ?…

— Non, merci. C’est du sommeil qu’il me faut.

L’hôtelier sourit et reprit sa marche ascendante pour conduire le jeune français en une chambre du second étage. Cette chambre, petite, mais proprement aménagée, ne recevait de jour que par une étroite fenêtre à guillotine perçée du côté d’une ruelle. Et cette chambre, déjà sombre, se trouvait obscurcie encore par les murailles grises d’un bâtiment élevé, vis-à-vis de l’auberge, de l’autre côté de la ruelle. Mais l’atmosphère de cette chambre était fraîche.

Simon Therrier expliqua :

— Ce n’est pas l’appartement qui convienne à un gentilhomme ; mais, comme je vous ai dit, c’est l’unique qui me reste aujourd’hui. Un autre jour, je pourrai vous loger plus convenablement.

— Oh ! je serai très bien ici, assura le jeune homme après avoir parcouru du regard la pièce et son mobilier. Il demanda aussitôt :

— Mes voisins sont-ils des Français ?

— Des Français ! fit Simon Therrier avec surprise. Mais il n’y a que ça ici. Oui, oui, mon ami, il n’y a que des Français dans mon auberge. À droite vous avez un Lyonnais, à gauche un… ah ! pardon… À gauche, ce n’est pas tout à fait un français, mais c’est, tout comme.

Le jeune homme regarda l’aubergiste avec étonnement. Mais celui-ci expliquait de suite :

— Je vais vous dire, cette chambre à gauche est habitée par un monsieur d’un certain âge dont la famille est en Canada ; c’est un réfugié canadien. Ah ! vous ignorez peut-être que ces Canadiens parlent la langue française comme vous et moi ?

— J’ignore, en effet, ce que vous appelez des Canadiens, et je ne sais pas davantage que ces Canadiens parlent notre langue française.

— Eh bien ! vous verrez vous-même. Je vous recommanderai à ce monsieur, qui vous instruira sur les races et l’histoire de l’Amérique. Car c’est un homme instruit, et puis… L’aubergiste se mit à rire et dit : Bon voilà que je vous retiens encore. Allons, reposez bien !

— Merci, monsieur.

Simon Therrier s’en alla.

Le jeune homme ferma sa porte, tira le verrou, enleva vivement son franc à basques et se jeta lourdement sur le lit blanc. Il s’endormit.

Ah ! c’est vrai qu’il avait l’air bien las, cet enfant d’une autre patrie qui, sur cette terre immense des Amériques, se sentait comme perdu. Mais bientôt, comme en un songe merveilleux, il allait se retrouver sous un ciel qui lui rappellerait encore le beau ciel de France.

II

COMMENT HINDELANG TROUVE DES FRÈRES.


Le soir de ce même jour, à huit heures, Simon Therrier monta à l’appartement de son nouvel hôte pour l’informer que son couvert au souper l’attendait. Vainement frappa-t-il à la porte, aucune réponse ne lui vint de l’intérieur. Prêtant l’oreille un instant, il saisit le bruit d’un ronflement. Il sourit et se retira sur la pointe des pieds.

Oui, Charles Hindelang dormait et ronflait… il dormait si profondément qu’il ne s’éveilla qu’au petit jour suivant.

Il se leva dispos.

Dans la petite fenêtre qu’il ouvrit il pen-