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LE SIÈGE DE QUÉBEC

les redoutes de la route de Courville le capitaine Jean Vaucourt avec huit cents miliciens.

Notre ami Flambard, en apprenant qu’on allait se battre du côté de Montmorency, s’empressa de joindre le bataillon de Jean Vaucourt.

Les deux amis, après un repas très frugal pris sur le pouce, se mirent durant la sieste à causer. Ils ne s’étaient pas vus pendant plusieurs jours, et le jeune capitaine avait hâte d’être mis au courant des démarches entreprises par Flambard pour retrouver l’enfant de sa femme. Mais le spadassin eut le chagrin de n’apporter à son ami aucune nouvelle rassurante. Il n’avait pu retrouver non plus les deux ravisseurs de l’enfant, c’est-à-dire Pertuluis et Regaudin, dont le détachement était devenu une équipe volante qu’on ne savait jamais où trouver exactement.

Jean Vaucourt retomba plus profondément dans son chagrin.

— Et madame Héloïse ? s’enquit Flambard qui ne cessait de s’inquiéter, lui, de la fille du comte de Maubertin.

— Hélas ! soupira Vaucourt ; elle est toujours dans le même état !

Depuis le jour où le malheur l’avait si durement atteint, le jeune capitaine allait tous les jours rendre visite à sa femme aux Hospitalières, où elle vivait sous les attentions constante de Marguerite de Loisel. La jeune femme recevait son mari comme un ami seulement qui se serait intéressé à son sort malheureux. Elle lui souriait tristement, l’éloignant s’il voulait se rapprocher d’elle pour l’embrasser ; puis elle demandait d’une voix éteinte et de lèvres qui se crispaient amèrement :

— Avez-vous rencontré le capitaine Jean Vaucourt, monsieur ? et savez-vous s’il me ramènera bientôt mon petit ?

Non… l’état mental de la jeune femme ne s’était pas amélioré. Et ces questions à son mari, elle les posait invariablement à toutes les personnes qui l’approchaient, même à Marguerite de Loisel, dont elle prononçait le nom, mais qu’elle ne reconnaissait pas : Marguerite lui apparaissait comme une étrangère dont elle ne s’expliquait pas la sympathie. Elle vivait presque dans un mutisme continuel. Tout le jour elle demeurait à la fenêtre de sa chambre, considérant d’un œil terne le ciel et le paysage environnant. Le soir venu, elle se jetait toute vêtue sur son lit, et demeurait inerte. Hormis la maladie de ses facultés mentales, Héloïse se portait bien. Seulement, elle mangeait peu, et, de ce fait, elle était devenue d’une maigreur extrême. Elle faisait pitié !

À chacune de ses visites à sa femme, Jean Vaucourt avait vainement essayé de se faire reconnaître : la jeune femme le regardait avec un visage impassible, puis ses lèvres décolorées se bornaient à esquisser un sourire pâle et incrédule.

Une fois que le capitaine avait insisté pour lui faire entendre qu’il était bien et réellement le capitaine Vaucourt, elle lui avait répondu avec un sourire ennuyé et maladif :

— Monsieur, si vous le rencontrez quelque part, n’oubliez pas de lui dire que je l’attends… j’ai tellement hâte de serrer mon petit Adélard sur mon sein !

En prononçant ces dernières paroles, des larmes avaient perlé au bord de ses cils blonds.

Un sanglot avait aussitôt déchiré la gorge du capitaine qui s’en était allé en pleurant.

Et le capitaine demanda à Flambard en le regardant dans les yeux :

— Voyons ! mon ami, ne pouvez-vous trouver un remède pour guérir ma pauvre femme ?

— Si, répondit Flambard, je connais le remède et je le trouverai !

— Vous connaissez ce remède ? interrogea Vaucourt en tressaillant de joie.

— L’enfant… c’est tout ! répondit laconiquement le spadassin en fronçant les sourcils.

— Vous voulez dire que ma femme recouvrera la raison en retrouvant son enfant ?

— Oui. Mais pour retrouver l’enfant il importe de retrouver Pertuluis et Regaudin. Il importe encore de savoir de ces deux ribodeurs ce qu’ils ont fait de l’enfant, car ils ne l’ont pas mangé, j’espère bien. Eh bien ! prenez ma parole, capitaine, à moins que les Anglais n’écharpent ces deux chiens errants, je vous jure que je les rattraperai et que je leur ferai cracher leurs secrets ! Mais voilà : ces Anglais vont probablement déranger mes plans en venant attaquer nos retranchements.

— Oh ! sourit le capitaine avec confiance, je compte bien que nous leur apprendrons en peu de temps ce que nous valons. Que pensez-vous, mon ami, de leur jeu ?

— C’est un jeu stupide, c’est insensé de leur part ! Et cela me paraît tellement insensé de venir nous attaquer ainsi, que je pense ceci : si j’étais le général de nos troupes, le sort des Anglais serait vitement fixé.

— Que feriez-vous ?

— Une chose que ne semble pas en train de faire le général Montcalm, sans vouloir critiquer ses plans.

— Et que fait-il qui ne vous convienne pas ?

— Vous le voyez, il renforce tous les postes du rivage !

— Eh bien ? demanda Jean Vaucourt très étonné.

— Moi, sourit Flambard, je dégarnirais au contraire les fortins et les redoutes, n’y laissant que juste quelques tirailleurs pour faire croire à notre résistance. Je laisserais les Anglais débarquer bien tranquillement, je leur permettrais même de se déployer largement tout le long de la plage. Mais durant ce temps j’aurais préparé mon armée en bon ordre d’attaque de façon à pouvoir bondir hors de ses retranchements, de se ruer à la gorge des Anglais, d’en étouffer le plus possible et de rejeter le reste dans le fleuve.

Jean Vaucourt se mit à rire.

— Vous riez ? se récria Flambard. Eh bien ! regardez notre position ! Nous sommes imprenables d’abord ; ensuite nous avons l’avantage du terrain pour l’attaque comme pour la retraite ; mais nous possédons surtout l’avantage de l’avance et de la victoire. Voyez, en bas,