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LE SIÈGE DE QUÉBEC

bas. Lorsqu’elle pénétra dans le parloir une demi-minute au plus après Héloïse, elle vit celle-ci accrochée au cou du capitaine Vaucourt couvrant de baisers fou le visage de son mari et celui de l’enfant qu’il tenait dans ses bras. Marguerite vit encore qu’on ne parlait pas. Là, un peu à l’écart, Aubray et sa femme, émus tous deux, souriaient, pleuraient… Vaucourt pâle, mais heureux, rendait à sa femme baiser pour baiser… L’enfant jetait des « maman » et des « papa » joyeux… Puis Marguerite vit Héloïse enlever son enfant des bras du capitaine, le presser avec une sorte de furie sur son sein et répéter d’une voix troublée par le bonheur :

— Mon pauvre petit Adélard…

Puis elle s’assit sur une banquette, déposa l’enfant sur ses genoux et se mit à le considérer avec un sourire heureux, tandis que de ses yeux coulaient d’abondantes larmes.

Les spectateurs de cette scène étouffaient.

Jean Vaucourt se précipita vers sa femme, s’agenouilla, voulut parler, mais il éclata en sanglots… Non ! jamais joie pareille n’avait fait bondir son cœur !

La jeune femme l’attira tendrement à elle, et mêlant ses larmes aux siennes, elle murmura :

— C’est donc, bien toi, mon Jean, qui me ramène mon enfant !

Il n’y avait plus de doute, et Jean Vaucourt, ce rude soldat, faillit s’évanouir…

C’était miracle !

Comme l’avait prévu Maître Authier, ce médecin à la solde de Michel Cadet, Héloïse avait recouvré la raison et le souvenir… cela avait été instantané !


XIII

LA DOULEUR D’UNE MÈRE


Tandis que le bonheur revenait à Jean Vaucourt et à sa femme Héloïse, eux qui avaient été si misérables, Aubray et sa femme, tout heureux des joies qu’ils venaient de répandre autour d’eux, marchaient, sans en avoir le moindre soupçon, vers la souffrance et la douleur.

Ils avaient quitté l’Hôpital-Général pour regagner leur foyer.

Un peu avant d’atteindre leur habitation, et au moment où leur cabriolet franchissait une chaussée étroite que longeaient deux fossés profonds de chaque côté, une formidable détonation éclata du côté de la cité. La terre trembla… Épouvanté, le cheval fit un tel écart puis un tel bond en avant, que les roues d’arrière du cabriolet glissèrent dans la pente abrupte du fossé. Sans le sang froid du milicien qui appliqua immédiatement un rude coup de fouet à la bête, celle-ci était entraînée par la charge au fond du fossé. Mais sous le coup de fouet elle bondit de nouveau, retrouva l’équilibre et, s’élançant avec rage, elle se rua en avant vers la chaumière du paysan. Lui et sa femme n’avaient pas eu le temps de sentir l’aiguillon de la peur, tout cela s’était produit trop subitement, tout comme un coup de tonnerre. Ce n’est que la minute d’après, lorsque l’attelage s’arrêta tremblant devant la chaumière, que les deux époux se sentirent émus.

Ils n’avaient pas échangé une parole.

Ils descendirent de la voiture et pénétrèrent dans leur maison. Le père d’Aubray était assis sur un escabeau près du feu de la cheminée ; il demeurait immobile, comme endormi, les coudes sur les genoux, la tête dans les mains. Aubray le considéra avec surprise.

— Ah ! ça, le père, s’écria-t-il, est-ce que vous dormez ? N’avez-vous pas entendu ce coup de tonnerre ?

À la vérité, la détonation entendue, qui avait paru secouer le monde entier, avait fort ressemblé à un coup de tonnerre.

À la voix de son fils, le vieux leva sa tête blanche et sa face ridée, et demanda, étonné :

— Quel coup de tonnerre ?…

Il se leva brusquement et, regardant sa bru, demanda encore :

— Et l’enfant ?

La jeune femme sourit.

— Il a retrouvé son père et sa mère, répondit-elle, joyeuse.

Le vieux chancela.

— Mais le tien ?… bégaya-t-il.

— Le mien !…

La jeune femme tressaillit, souffla rudement et demanda, en émoi :

— Que voulez-vous dire ?

Béant, médusé, le milicien regardait son père.

Comme si elle eût été frappée par un coup de massue, la tête du vieillard se pencha rudement ; et, allant vers la pièce voisine d’un pas mal assuré, il bredouilla :

— En v’là une histoire… venez voir, mes enfants !

Il s’arrêta devant le berceau.

La femme du milicien venait d’être assaillie par un affreux pressentiment. Elle se précipita vers le berceau, le vit vide. Tout le sang de son être sembla se glacer ; elle jeta un regard de folie à son mari, puis elle éleva les mains au ciel, et, sans un mot, sans même une larme, elle s’affaissa en travers sur le berceau.

Le milicien la saisit vivement, la souleva et la déposa sur le lit. La jeune femme était évanouie.

Aubray et son père se regardaient, muets, consternés, l’un n’osant interroger, l’autre se taisait par crainte d’accroître la trop grande douleur qu’il devinait.

Enfin, le milicien parvint à faire cette interrogation :

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

Le vieux branlait la tête en signe de détresse et de désespoir.

— C’est deux soldats qui sont venus chercher le petit Adélard…

— Deux soldats… le petit Adélard ! fit le milicien ahuri. Êtes-vous fou ?

— J’sais pas, mon pauvre Anatole. Mais j’sais bien que ces deux soldats ont emmené votre enfant.

— Et vous les avez laissé faire ?

— J’sais pas… J’n’ai pas eu le temps de rien, ils étaient partis !

— Mais quels soldats encore ? s’écria le milicien que la colère commençait à gagner.