navant je devrai me défier de vos plafonds qui s’écrasent sur la tête de vos amis.
Bigot continuait de sourire, mais dans ses regards on pouvait voir passer des flammes terribles.
Tout à coup, juste au moment où le spadassin prononçait ses dernières paroles, Bigot éleva sa voix douce qui, cette fois, tonna :
— Gardes ! jeta-t-il.
À l’instant même des draperies s’agitèrent brusquement près du grand escalier, un hurlement s’éleva, et douze gardes, l’épée au poing, surgirent et se ruèrent sur le spadassin. Mais avant qu’aucune épée n’eût effleuré la peau de ce dernier, il se produisit une chose inattendue : dès qu’il avait entendu l’appel de Bigot, Flambard, sans arme, s’était baissé pour s’emparer du lustre tombé du plafond. Les gardes n’étaient plus qu’à deux pas de lui, qu’il élevait ce lourd projectile au-dessus de sa tête.
Dans le moment de stupeur qui suivit on entendit ce juron :
— Par les deux cornes du diable !
Et Flambard, balançant une seconde le lustre, le lança comme un trait foudroyant contre les gardes. Quatre d’entre eux furent culbutés, renversés, écrasés…
Mais notre héros se trouvait de nouveau désarmé et à la merci des épées nues.
— À lui ! vociféra tout à coup Cadet. Mort à ce chien de bretteur !
En même temps que son épée vingt autres lames sortirent des fourreaux, et ces lames, s’unissant à celles des gardes, avancèrent leurs pointes aiguës. Mais le choc d’acier qu’on croyait entendre n’eut pas lieu, l’élan s’arrêta comme de lui-même, un recul se fit dans la bande armée : car Flambard venait d’apparaître avec une rapière en sa main droite, c’était celle d’un garde renversé par le lustre.
— Eh ! eh ! ricana-t-il, j’aime mieux cela que les lustres de Damoclès et les trappes à renards.
Il brandit sa rapière, ploya les jarrets et comme un tigre parut s’apprêter à bondir.
Bigot se jeta devant les épées, et, faisant un geste autoritaire à ses amis et aux gardes, il cria :
— Pas de telle effusion de sang dans ma maison, c’est assez que quatre de mes gardes gisent inanimés sur les dalles. Monsieur, ajouta-t-il, en se tournant vers Flambard, il y a malentendu entre nous. Ce lustre est tombé par accident. Il faut penser que le crochet qui le retenait était de matériel défectueux et n’a pu résister plus longtemps au poids qu’il supportait. C’est une malheureuse coïncidence, voilà tout.
— Et ces gardes que vous avez appelés ? ricana Flambard.
— C’était pour prévenir tout attentat de votre part !
— Oh ! s’écria Flambard avec mépris, vous êtes donc trop poltron pour confesser la vérité ?
— Monsieur… clama Bigot frémissant sous l’outrage.
— Ah ! tenez, François Bigot, je vous le dis devant tout ce tas de chiens qui grognent et tremblent derrière vous, je vous le dis, vous êtes encore plus lâche que le dernier de vos valets !
— Par l’enfer ! rugit Cadet, nous laisserons-nous insulter de la sorte ?
Comme un fou le munitionnaire, armé de sa courte épée, fonça contre Flambard. Lui, dédaignant de se servir de sa rapière, leva un pied qu’il appliqua vigoureusement au menton du gros munitionnaire ; celui-ci alla rouler lourdement sur les dalles.
— Voilà ! dit Flambard, comment on apaise les chiens hargneux ! Et vous, monsieur, ajouta-t-il en marchant sur l’intendant, dites-moi et vite ce que vous avez fait de l’enfant que vous aviez ici !
— Il est parti ! répliqua froidement Bigot.
— Vous mentez ! cria le spadassin pris enfin de colère.
— Fouillez la maison et assurez-vous de cette vérité ! Faites place ! commanda aussitôt l’intendant, en s’effaçant lui-même pour laisser libre passage au spadassin.
— Vous espérez encore, ricana Flambard, que j’irai me prendre dans vos pièges, ou que ces épées me perceront, les reins à la première occasion ?
— Brisez les épées ! cria Bigot.
L’ordre fut obéi comme par magie, et des tronçons de lames brillantes tombèrent avec un bruit métallique sur les dalles du vestibule.
— Allez, monsieur, fouillez ! reprit Bigot en se croisant les bras, et sur mon honneur je vous garantis vie sauve !
Flambard le regarda en ébauchant un sourire sceptique.
— C’est, repartit Bigot, pour vous prouver que je ne vous redoute pas, que je vous laisserai fouiller cette maison et en sortir vivant !
Flambard jeta sa rapière et se mit à rire.
— Je vous crois, dit-il. Depuis que je suis entré ici, on a eu le temps d’enlever l’enfant. Toutefois, monsieur…
Il fut interrompu par un heurt violent dans la porte d’entrée.
Bigot, d’un geste commanda à un valet d’aller ouvrir.
— Non ! dit Flambard rudement. C’est moi qui ouvrirai, car c’est moi qui commande ici quand j’y suis !
Et, impassible comme un maître sûr de lui, il alla ouvrir la porte.
Un soldat, essoufflé, haletant, se tenait sous le péristyle :
— Que veux-tu ? interrogea Flambard.
Avant que le soldat n’eût répondu, le grondement des canons de la flotte anglaise fit trembler la nuit. Un long frisson secoua tout le monde. Flambard, lui-même, malgré toute son impassibilité, ne put s’empêcher de tressaillir. Une sourde rumeur courut dans le groupe des invités de Bigot. Cadet, qui venait de se relever, tout étourdi du coup de pied de Flambard, murmura en passant près de Bigot :
— Les Anglais sont là !
L’intendant fronça les sourcils.
Du côté de Lévis un autre grondement roula dans les ténèbres de la nuit, puis un autre, puis encore…
— C’est la ville qu’on bombarde ! dit une voix de femme dans le vestibule.