cieux renseignements sur certains fonctionnaires de la Nouvelle-France. Il connaissait les divisions et les brouilles qui existaient entre les chefs civils et militaires, et il avait tablé sur ces dissensions pour accomplir l’exploit qu’il méditait. Il savait qu’avec de l’or il lui serait facile de trouver des traîtres, même parmi les hauts fonctionnaires. Il savait encore que Bigot avait dit à des gens de son entourage :
— Amis, nous sommes fatigués du pays et de son climat. Maintenant que notre fortune est faite, que notre tâche achève, il est juste que nous allions jouir doucement de l’existence sous le beau ciel de France. Si Messieurs les Anglais tiennent tant à ce pays, qu’il soit leur, je ne m’y opposerai pas. Laissons les imbéciles se chamailler pour ces bois et ces montagnes, pour nous la vie a de meilleurs apports !
Wolfe trouvait donc là un bon champ à exploiter. Il essaya bien d’entrer en relations directes avec Bigot et Cadet, mais ceux-ci ne voulurent pas se compromettre, et le commerce qui se pratiqua avec les officiers anglais le fut par l’intermédiaire d’agents de Cadet, tel, entre autres, Pénissault, qui avait été chargé de vendre aux Anglais deux cents barils de lard. Mais rien n’établit positivement que le lard avait été livré aux Anglais, car il s’était trouvé un officier, M. de Fiedmond, qui, ayant eu vent de la chose, en avait prévenu Bougainville. Pénissault avait de suite été mis sur ses gardes par Cadet lui-même.
Il peut paraître étrange que les Anglais manquassent de vivres, eux qui étaient maîtres de la moitié du pays ? Oui, mais, ils n’avaient pas pensé que l’expédition durerait aussi longtemps. Ils avaient dévasté tout le pays s’étendant au-dessous de Québec, ils n’y pouvaient plus ou acheter ou réquisitionner. Ils avaient donc été forcés vers la mi-août d’envoyer vers Louisbourg sept transports pour se ravitailler ; mais des vents contraires avaient retardé leur retour. Wolfe devait donc trouver des moyens de nourrir son armée, et il compta sur les agents de Cadet.
Foissan réussit donc à conclure avec le munitionnaire le marché des quatre cents sacs de farine.
Il revint deux jours après trouver le général.
— Monsieur Cadet, annonça-t-il, demande six livres sterling pour chaque sac de farine.
Wolfe trouva le prix exorbitant. Mais il avait besoin de farine.
Il réfléchit un moment et répondit :
— Va dire à Monsieur Cadet que je lui verserai la somme de deux mille deux cents livres sterling, à même lesquelles tu toucheras les deux cents livres que je t’ai promises.
Wolfe était rusé. Il s’imaginait bien que Foissan, pour toucher sa prime, ferait tous ses efforts pour faire rabattre Cadet sur le prix demandé. Foissan réussit en effet à bâcler l’affaire moyennant deux mille livres que toucheraient Bréart et Cadet et deux cents livres pour lui-même.
Mais comment allait-on s’y prendre pour livrer aux Anglais ces 400 sacs de farine, sans que l’affaire ne transpirât en dehors des intéressés. C’était simple.
Bréart était aux Trois-Rivières où il avait été envoyé par M. de Vaudreuil pour organiser un convoi de vivres destinées à l’armée et à la ville. Ce convoi devait être formé de berges qui descendraient le fleuve jusqu’à la Pointe-aux-Trembles. On profiterait d’une nuit obscure pour effectuer le déchargement de ces vivres qui, de la Pointe-aux-Trembles, seraient transportées par voie de terre. Durant l’été qui finissait le ravitaillement s’était fait au moyen de charrettes attelées de bœufs ou de mulets que conduisaient des vieillards et des femmes. On avait eu peines et misères à accomplir le long trajet des Trois-Rivières à Québec, par des routes détrempées par les pluies, cahoteuses, souvent coupées de ravins profonds. Des charrettes s’étaient brisées, des attelages étaient tombés exténués, des femmes étaient demeurées en chemin, épuisées, malades, de fortes quantités de vivres avaient été perdues, abandonnées sur le bord des routes ou gâtées par l’eau du ciel. Il avait fallu trois semaines à l’un de ces convois pour couvrir la distance qui séparait Trois-Rivières de Québec. Cette fois, M. de Vaudreuil avait décidé de tenter la voie du fleuve. Vauquelin avait été requis de fournir des berges à Bréart qui devait s’occuper de leur chargement. Naturellement, cette entreprise devait être conduite avec le plus grand secret, de crainte que les Anglais, mis au courant, n’eussent l’idée de capturer le convoi. Mais le secret avait transpiré, et Wolfe avait conçu l’espoir de faire main basse sur ce précieux convoi : d’autant plus précieux qu’il aurait fourni aux Anglais les vivres dont ils manquaient, et que cette capture aurait affamé l’armée française et la garnison de la capitale.
Il n’eut garde de laisser deviner ses intentions, lorsque Foissan lui assura que Cadet ferait servir l’un de ses navires pour transporter la farine jusqu’aux navires anglais stationnés à deux milles environ en aval de la Pointe-aux-Trembles. Et pour plus de sûreté, comme l’avait assuré Foissan, Cadet ferait escorter le transport de trois autres de ses navires.
Seulement, Wolfe exigea de Foissan, qui allait se rendre de suite aux Trois-Rivières pour faire charger les 400 sacs de farine, que l’un de ses officiers l’accompagnerait.
Cet officier devrait surveiller le chargement des marchandises, et il aurait instructions de verser entre les mains de Foissan la somme de deux mille deux cents livres.
Foissan accepta cet arrangement, et l’officier choisi par Wolfe fut le capitaine Simon Fraser. Or Simon Fraser était chargé de s’enquérir du convoi de vivres qui devait être expédié à l’armée de Beauport et de faire surveiller sa marche, Holmes avait déjà reçu l’ordre d’arrêter ce convoi et, si possible, de s’en emparer.
Mais des contre-ordres allaient sauver ce convoi. Par contre, c’est l’un des traîtres à la cause du roi de France qui allait y perdre. Cadet.
On sait que Michel Cadet avait fait construire en France vingt navires pour faire son commerce personnel. Il est vrai qu’il avait offert au roi l’usage de ces navires, mais cette offre