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cadenassa. Puis, comme s’il eût eu le diable à ses trousses, il prit sa course vers sa loge, comme un fou se jeta hors de la caserne, dit quelques mots rapides aux sentinelles de la Place et gagna la basse-ville.

Au bout d’un quart d’heure il arrivait, tout essoufflé, devant la caserne de la rue Champlain.

— Qui vive ! cria une sentinelle.

— Haldimand !… répondit le gardien.

C’était le mot de passe.

— Que veux-tu ?

— Parler au lieutenant Foxham.

La sentinelle s’approcha et reconnut un soldat de la caserne des Jésuites.

— Que lui veux-tu à Foxham ? demanda la sentinelle.

— Je veux lui parler… Il pense que Saint-Vallier est mort, mais il est vivant !

La sentinelle fit un saut en l’air.

— Hein ! s’écria-t-elle abasourdie, Saint-Vallier est vivant !

— Il est dans son cachot !

L’autre chancelait…

— Allons ! dit le factionnaire au bout d’un moment comme s’il fût sorti d’un rêve, viens, je vais te conduire !

Le lieutenant était en chemise et se préparait à se mettre au lit, très satisfait de la besogne qu’il avait accomplie. Il n’en demeurait toujours pas moins intrigué par l’apparition de Saint-Vallier qu’il avait frappé d’un poignard et jeté ensuite dans la citerne des Jésuites. Ce Saint-Vallier avait plus que le diable au corps !…

Mais en voyant accourir le gardien qui l’avait aidé à lancer Saint-Vallier dans la citerne, et surtout en le voyant apparaître livide et tremblant d’épouvante, Foxham fut pris d’une vive et terrible appréhension.

— Que viens-tu m’apprendre encore ? demanda-t-il la voix agitée.

— Que Saint-Vallier est dans son cachot !

Foxham bondit, saisit le gardien à la gorge, serra à l’étouffer et rugit, hors de lui :

— Imbécile ! viens-tu ici expressément pour te moquer de moi ?

— Monsieur, hoqueta le pauvre diable à demi étouffé… je viens… de renfermer… Saint-Vallier dans son cachot !

Le lieutenant lâcha prise, ahuri, hébété.

Le gardien fit le récit de l’apparition qu’il avait vue : c’est-à-dire Saint-Vallier debout dans son cachot, tout ensanglanté, chancelant, déchiré… c’était un spectre affreux !

Foxham sentait la peur pénétrer dans ses moelles.

— Je veux voir de mes yeux, prononça-t-il, les dents serrées.

Il s’habilla à la hâte et se dirigea avec le gardien vers les casernes des Jésuites.

Mais quelle ne fût pas la stupéfaction du gardien lorsque, après avoir tiré la porte du cachot de Saint-Vallier, il constata que celui-ci avait disparu !

— Allons ! tu as rêvé ! ricana Foxham, Saint-Vallier est bien mort ! Regarde, le cachot est vide !

Le gardien entra, tremblant, avec sa lanterne à la main.

Alors Foxham poussa un cri d’étonnement, se baissa rapidement et se mit à examiner le trou de la trappe pratiquée dans le plancher : Saint-Vallier n’avait pas remis le lit en place et n’avait pas refermé le panneau.

Ce fut pour le lieutenant la clef du mystère : il apprenait comment Saint-Vallier sortait et rentrait dans son cachot !

Oui, mais…

En effet, il restait un mais… c’est-à-dire un autre coin du voile mystérieux sous lequel il ne pouvait voir. Comment se faisait-il, lorsque Saint-Vallier était hors de sa prison, que son gardien constatait sa présence dans le cachot ?… Avait-il le don d’ubiquité ?… Ou par une poudre magique trouvait-il le pouvoir de se rendre invisible ou visible et à tel endroit qu’il lui plaisait ?… Ou bien possédait-il véritablement un don de sorcellerie ?… Foxham était plutôt enclin à pencher pour cette dernière hypothèse, car il ne manquait pas de sorciers à cette époque qui accomplissaient des prodiges ! Et si vraiment Saint-Vallier était sorcier…

À cette pensée Foxham sentit une sueur froide couler le long de sa nuque !

Non… le mystère pour Foxham était loin d’être approfondi, pour la bonne raison qu’il ignorait la ressemblance entre Pierre Darmontel, qu’il avait assassiné croyant tuer Saint-Vallier et qu’il avait jeté dans une citerne, et Saint-Vallier lui-même. Il ignorait encore que le fils de M. Darmontel était revenu d’Europe.

Foxham s’en retourna à sa caserne, mais pas tranquille du tout, s’imaginant que Saint-Vallier n’était pas mort, bien qu’il l’eût vu percé de coups et inanimé à ses pieds ! Et si Saint-Vallier n’était pas mort, alors sa vie à lui, Foxham, ne valait plus grand chose ! Car Saint-Vallier allait sûrement se venger !… Et qui sait si déjà Saint-Vallier ou son spectre ne le guettait pas sur quelque coin de ruelle pour le poignarder à son tour ?… Foxham, à présent, courait, avec des pistolets dans ses mains, un poignard aux dents, la peur sur la nuque !