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À huit heures du matin il quittait la demeure de M. Darmontel promettant de revenir le midi. Il avait défendu à qui que ce soit de pénétrer dans la chambre du blessé avant son retour.

Cette fois Saint-Vallier avait été transporté dans la chambre même de Louise qui occupait un des angles de la maison au rez-de-chaussée.

Malgré les ordres formels du médecin, Louise, vers dix heures de la matinée, ne put résister au désir d’aller jeter un coup d’œil dans la chambre.

Sans bruit, elle ouvrit la porte, regarda le blessé dans la demi-obscurité qui régnait, vit son visage livide… mais elle sentit une joie immense gonfler son cœur lorsqu’elle entendit une respiration presque régulière… Saint-Vallier paraissait dormir tranquillement !

Et encore Louise Darmontel ne put résister à un autre désir… ce fut une poussée irrésistible : elle approcha sur la pointe des pieds jusqu’auprès du blessé et posa un baiser tendre sur son front !

Les lèvres de Saint-Vallier, comme en un rêve, s’écartèrent doucement et sourirent !

Louise pensa de s’évanouir de joie… elle s’enfuit !


XIV

LA MAIN DU TYRAN


Il était deux heures de l’après-midi, samedi, le 25 novembre, quand M. Darmontel vit entrer dans sa boutique quatre soldats que commandait un sous-officier.

Le sous-officier s’approcha du négociant et lui dit :

— Monsieur, j’ai un devoir urgent à accomplir vis-à-vis de votre personne : j’ai reçu ordre de vous arrêter immédiatement.

— De m’arrêter ? fit M. Darmontel avec surprise. Mais pour quelle raison ?

— Monsieur, je n’ai que des ordres, et pas d’explications !

— Qui vous a donné ces ordres ?

— Le général.

— Haldimand ?

— Le général Haldimand, oui.

Darmontel était renversé. Quoi ! il y avait donc encore des cachots à remplir ?… Il se rappela les paroles sévères qu’il avait dites à Haldimand, lorsqu’il s’était présenté pour demander la liberté provisoire de Du Calvet. Il comprit de suite que le général Haldimand aujourd’hui se vengeait. Il comprit encore que la résistance était impossible.

Cet homme, qui n’avait connu jusque-là que des jours heureux, vit, comme tant d’autres, hélas ! les malheurs fondre sur lui.

Il avait à l’âme la terrible douleur de la disparition de son fils, Pierre Darmontel, qu’il croyait enfermé dans un cachot, ou tombé sous les coups des sicaires d’Haldimand. Saint-Vallier, son fils adoptif, était étendu sur un lit de souffrances et suspendu entre la vie et la mort. Et si Saint-Vallier mourait, il entrevoyait sa fille Louise, aux prises avec tous les malheurs et seule au monde.

Darmontel voulut faire face au malheur comme un homme, il se raidit.

— Monsieur, dit-il au sous-officier, vous me laisserez bien le temps de régler certaines affaires ?

— Impossible, répondit froidement le sous-officier, mes ordres sont explicites : je dois vous conduire sans retard au couvent des Récollets.

— Au Couvent des Récollets ?

— Où vous serez gardé à vue en attendant votre procès.

— C’est-à-dire, où je serai prisonnier, sourit amèrement Darmontel.

— N’importe ! je n’ai pas d’explications, je vous l’ai dit.

— C’est bon, je suis prêt à vous suivre.

On le fit monter dans une berline qui partit au grand trot de ses deux chevaux vers le Couvent des Récollets.

Et pour la millième fois, la main du tyran s’appesantissait sur un honnête citoyen canadien…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Tandis qu’on arrêtait Darmontel à sa place d’affaires, quatre autres soldats se présentaient à sa demeure, et ces soldats étaient conduits par le lieutenant Daniel Foxham.

Au serviteur qui vint ouvrir, Foxham demanda à voir et à parler à Louise Darmontel.

Le lieutenant et ses quatre soldats furent introduits dans le vestibule, et Foxham conduit, seul, dans un petit salon attenant.

— Je vais prévenir mademoiselle, dit le serviteur, très pâle, qui devinait qu’un malheur allait encore frapper cette famille.

Au bout de cinq minutes Louise parut.

À la vue de Foxham, elle ne se troubla nullement, parce qu’elle avait été prévenue par le serviteur et elle voulut paraître forte. Aussi affecta-t-elle une grande froideur en demandant :