Page:Féron - Les cachots d'Haldimand, 1926.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
68
LES CACHOTS D’HALDIMAND

ne contenait aucun nom. Il faut croire que le complice de Foxham, pris de remords, avait envoyé cette lettre. Une fois ces devoirs remplis, Louise confia à M. de Saint-Martin le soin de régler les affaires de son père qui, quelques jours avant sa mort, était rentré dans une partie de ses biens.

Le conseiller Hamilton, qui succéda à Haldimand, fit rendre à Louise la maison paternelle qui avait été également confisquée. C’est là que vint habiter Saint-Vallier avec sa jeune femme et ses enfants, et c’est dans cette maison qu’il allait mourir, si jeune, après une courte maladie, en l’hiver de 1787. La patrie canadienne allait perdre encore un de ses plus énergiques défenseurs !

Le retour de Saint-Vallier à Québec causa une joie immense parmi la population française. Beaucoup d’Anglais même, de ceux-là qui n’avaient pas approuvé l’administration du général Haldimand, se réjouirent également du retour de ce jeune canadien qui avait suscité leur admiration.

Dès son retour au pays Saint-Vallier voulut seconder Du Calvet dans sa lutte en Angleterre pour obtenir justice pour les Canadiens. Avec le concours d’Adhémar de Saint-Martin et de quelques autres patriotes qui ne marchandaient ni leur énergie ni leur temps, il revendiqua une constitution propre à gouverner les deux éléments ethniques qui formaient la population du Canada. Il demanda le rétablissement des lois civiles françaises, travailla fermement à faire introduire la loi de l’HABEAS CORPUS et à faire restituer à l’église canadienne ses privilèges d’antan.

Bref, après les jours si sombres de l’administration militaire qui avait existé au pays après 1759, allaient naître les jours plus riants de l’administration civile dans laquelle les Canadiens auraient une main au contrôle des affaires de leur pays.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Quelque temps après son arrivée à Québec, Louise reçut, un après-midi, la visite de Miss Margaret Toller.

Louise eut peine à reconnaître cette amie : Miss Toller n’était plus reconnaissable que par ses cheveux roux. Elle était amaigrie excessivement, elle avait perdu les couleurs de son teint devenu blanchâtre, et elle avait mis de côté la recherche et le luxe du vêtement. Elle apparut comme une pauvre fille d’ouvrier en quête d’une aumône. Ce n’était plus que l’ombre de Miss Margaret, et il y avait de quoi !

Son père, dès l’automne de 1783, peu après le départ de Foxham et de Buxton pour l’Angleterre, avait été destitué de son poste par Haldimand lui-même qui avait pris ombrage de ce serviteur trop zélé. Or, Toller n’était pas riche. Fort de la vie très large, il n’avait jamais économisé sur les dix mille livres d’émoluments qu’il avait touchées chaque année, sans compter certaines sommes d’argent qui lui étaient tombées dans les mains par certaines opérations financières de nature douteuse. Il avait cumulé les emplois, mais il n’avait pas accumulé les revenus. Il avait, par surcroît, commis la sottise d’avancer à Foxham une somme de cinq mille livres sur les vingt-cinq mille requises pour payer les frais de l’entreprise ténébreuse tramée contre la vie de Du Calvet. Or, il avait fait ce déboursé pour mettre fin à la propagande de Du Calvet qui demandait le rappel d’Haldimand, et voilà que l’homme qu’il avait voulu défendre se débarrassait de lui. Toller avait failli en faire une maladie mortelle. Il s’était trouvé sans place et presque sans argent comme, naturellement, sans amis. Dès lors il se vit obligé de vivre d’expédients en attendant la nomination d’un nouveau gouverneur auprès duquel il espérait pouvoir reprendre pied. Mais Hamilton, en succédant à Haldimand, s’entoura de serviteurs qui, pour la plupart, n’avaient eu rien à voir dans la dernière administration.

Du coup le major Toller se vit réduit aux abois, et il décida de retourner en Angleterre.

Miss Margaret était donc venue faire à Louise une visite d’adieux.

— Chère Margaret, s’était écriée Louise, émue de l’infortune de l’amie, je n’ai pas cessé de penser à toi depuis mon retour à Québec.

La jeune anglaise ébaucha un mélancolique sourire et ses yeux s’humectèrent. Pour ne pas laisser voir des larmes prêtes à tomber, elle se mit à caresser follement les deux enfants de Louise.

Celle-ci considéra longtemps la jeune anglaise sans parler, et elle parut deviner un trouble quelconque dans l’esprit de son amie.

— Margaret, dit-elle gravement, tu n’es pas venue uniquement pour me faire tes adieux, mais aussi pour me confier quelque chose qui t’importune.

— C’est vrai, avoua tristement Margaret. Mais je ne serais pas partie sans venir t’embrasser. Et je t’assure que ce départ pour l’Angleterre me cause beaucoup de chagrins.

— Pauvre Margaret ! soupira Louise.

— Vois-tu, ma chère Louise, j’avais appris à aimer ce pays et ceux qui l’habitent.