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LES TROIS GRENADIERS

Le premier, Pertuluis se mit sur son séant, regarda le spadassin avec étonnement et demanda :

— Oh ! oh ! le coq a-t-il chanté déjà ?

— Eh quoi ! dit à son tour Regaudin, qui, demeuré étendu sur son grabat, se frottait activement les yeux, l’aurore a-t-elle précédé le crépuscule ?

Disons que les deux grenadiers n’étaient couchés que depuis une heure, c’est à-dire depuis qu’ils étaient rentrés dans leur case après que les prisonniers eurent été mis sous verrous, et ils pouvaient, naturellement, s’étonner que la nuit eût été si courte.

Flambard se mit à rire et dit :

— Je regrette de vous faire interrompre sitôt les magnifiques rêves qui n’ont pas manqué de présider à votre sommeil, mais il y a de la besogne pour vous comme pour moi.

— Et quelle heure est-il ? interrogea Regaudin.

— Cinq heures et demie, répondit Flambard.

— Hein ! s’écria Pertuluis en sursautant, est-il possible que nous ayons dormi plus de douze heures sans désemparer ! Ventre-de-chat ! il me semble pourtant que je viens seulement de fermer l’œil !

— J’ai dit, sourit Flambard, cinq heures et demie… mais non du matin.

— Oh ! Oh ! fit Regaudin, je vous comprends. À la vérité, cela m’eût étonné qu’il eût été cinq heures et demie du matin, alors que je sens encore ma cervelle tout à l’envers.

— C’est-à-dire, dit Pertuluis, qu’il n’est que les cinq heures et demie du soir, et que nous…

— Et que vous n’avez dormi qu’une heure environ, compléta le spadassin.

— Biche-de-bois ! monsieur Flambard, vous auriez bien pu nous laisser paillasser une autre petite heure…

— Hélas ! soupira Pertuluis, j’ai encore la tête si lourde, qu’on pourrait me la couper sans que j’en sentisse le mal !

— Et moi, larmoya Regaudin, on m’arracherait la langue sans qu’il en sortit une goutte de salive, tellement la soif…

— Mes amis, interrompit Flambard, je vous promets de riboter et de paillasser tout votre saoul après que nous aurons accompli certaine besogne.

— À l’ordre, en ce cas ; cria Regaudin en se levant d’un bond.

— À l’œuvre ! cria à son tour Pertuluis en se mettant debout. Mais aussitôt il chancela et retomba lourdement sur son grabat.

Flambard se mit à rire.

— Ventre-de-diable ! jura Pertuluis, ai-je de la laine dans les tiges qu’elles ne veulent plus tenir ?

Il fit un effort suprême, se leva et réussit à se raffermir.

— Eh bien ! qu’est-ce qu’il faut faire interrogea Regaudin.

— Avez vous une corde solide ? demanda le spadassin.

— Une corde solide ? fit Regaudin. Voilà, sous ce grabat.

En même temps il se baissa et tira de sous son grabat un câble d’une belle solidité.

— C’est bien ce qu’il me faut, dit Flambard.

Il marcha vers le centre de la hutte et examina les solives. L’une d’elles lui parut répondre aux besoins dont il en attendait.

— Voilà encore qui va faire ! murmura-t-il.

À voix basse et rapidement il donna des instructions aux deux bravi qui encensèrent de la tête en signe qu’ils comprenaient parfaitement, puis il quitta la case.

Flambard se dirigea vers les étables et s’arrêta près de deux huttes. Dans l’une avait été enfermé Foissan, dans l’autre ses trois compagnons. Ces deux huttes étaient des geôles sans autre issue qu’une porte bardée de fer et fortement cadenassée.

Le spadassin pénétra dans la geôle des trois gardes après avoir ouvert les cadenas à l’aide d’une clef qu’il avait. Il trouva les trois jeunes gardes assis, silencieux et tristes. Ils regardèrent Flambard avec une sorte d’effroi. Le spadassin les considéra un moment tour à tour. Ces jeunes hommes lui étaient inconnus, mais il croyait se rappeler les avoir vus parmi les gardes de l’intendant-royal. C’étaient des jeunes hommes aux manières distinguées et qui devaient appartenir à de bonnes familles de France. Le spadassin pensa que ce n’étaient pas des coquins, mais, venus en Nouvelle-France pour tenter fortune, ils étaient tombés parmi les gens de Bigot, dont ils ignoraient probablement, les oc-