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LES TROIS GRENADIERS

la prison de Foissan. Mlle Deladier, qui marchait en avant, aperçut la première la clef qui brillait comme un petit lingot d’argent sur la neige durcie. Mais elle n’en fit rien voir ; simplement elle mit un pied dessus, s’arrêta et dit en promenant autour d’elle la clarté de sa lanterne :

— Je ne la vois nulle part…

La femme d’Aubray tournait autour de la jeune fille en scrutant le sol avec attention, murmurant :

— Si je l’ai perdue, ça ne peut être ailleurs qu’ici !

Profitant d’un moment où la paysanne tournait le dos, Mlle Deladier se baissa promptement et ramassa la clef qu’elle serra dans le creux de sa main en attendant qu’elle eût l’opportunité de la glisser dans l’une de ses poches. La femme d’Aubray continuait à chercher et ne cessait en même temps de fouiller ses poches.

— C’est un vrai mystère ! dit-elle à la fin. Elle paraissait découragée.

— Si vous voulez m’en croire, ma brave femme, émit Mlle Deladier que la joie étouffait presque, je vous conseillerais d’attendre à demain. Quand la clarté du jour sera venue, il sera plus facile de trouver cette clef.

— Vous avez raison, Mademoiselle. D’ailleurs. on n’en a toujours pas besoin, cette nuit.

Lorsque, un quart d’heure après, Mlle Deladier rentrait chez elle, la joie débordait de son cœur. Mais cette joie n’était pourtant pas complète : car il se glissait dans l’esprit de la jeune fille une grave inquiétude. Elle pensait au message qu’elle avait mis sous la porte du prisonnier quatre jours auparavant, et depuis qu’elle savait Foissan enchaîné et trop loin de la porte pour pouvoir prendre le papier, elle se demandait avec angoisse qui avait pu trouver le papier et s’en emparer ? Il est vrai que ce papier, quand on avait ouvert la porte, aurait pu être repoussé à l’intérieur de la hutte où il n’aurait pas attiré l’attention à cause du peu de clarté qui y régnait ; ou bien encore, il aurait pu glisser au dehors et dans la neige, puis avoir été emporté par le vent. Elle souhaitait ardemment qu’il en eût été ainsi, et elle finit par chasser l’inquiétude.

— Bah ! se dit-elle, si ce message était tombé en d’autres mains que celles de Foissan, j’en aurais eu des nouvelles depuis. Allons ! il faut que j’accomplisse ma mission quoi qu’il arrive. Je possède maintenant tout ce qu’il faut pour arriver jusqu’à Foissan. Je sais que les gardiens vont refaire le feu du prisonnier à toutes les deux heures. Donc à neuf heures, l’un d’eux ira à sa tâche, et alors il me restera deux heures pour agir. D’ici là j’ai une heure pour achever de mûrir mon plan…

En effet, il était huit heures.


V

LE PRISONNIER.


Un peu avant neuf heures la jeune fille quittait doucement son logis et à pas feutrés se dirigeait vers la geôle de Foissan. À quelques pas de là elle dissimula sa présence dans l’ombre d’une baraque voisine et attendit. Sur le coup de neuf heures elle vit un gardien quitter sa hutte, traverser la ruelle et pénétrer dans la case du prisonnier. Cinq minutes après, l’homme ressortait, refermait la porte avec précaution et rentrait chez lui.

Mlle Deladier ne perdit pas de temps. Et avec précautions aussi, et sans faire le moindre bruit, elle s’approcha de la porte bardée de fer, ouvrit le cadenas et poussa la porte doucement. Un grand feu éclairait nettement l’intérieur.

La jeune fille, referma la porte et sur la pointe des pieds s’avança près du grabat où paraissait dormir un homme. Oui, un homme tourné vers la muraille dormait, un homme dont elle ne pouvait voir la physionomie parce que le chef de cet homme était couvert d’un bonnet de fourrure et qu’une couverture le couvrait des pieds aux yeux. Mlle Deladier vit des chaînes d’aspect solide retenues au mur à l’aide de crampons de fer et ces chaînes disparaître sous la couverture. Oui, tel que l’avait dit la femme d’Aubray, cet homme ne pouvait être dangereux ainsi enchaîné. Malgré toute la froideur dont elle avait voulu pétrir son cœur, la jeune fille fut saisie de pitié. Son sein se souleva avec effort comme sous le choc violent d’une forte émotion. Mais sachant que le temps était précieux, elle se maîtrisa et rudement elle secoua le dormeur par une épaule.

L’homme sursauta et se tourna brusquement sur le dos, laissant voir des yeux éton-