sitions de son organe musical, et par le rendre apte à comprendre ces gammes étranges qui avaient d’abord blessé son oreille.
Qu’on juge, d’après cette anecdote, de la situation où se trouve un homme qui n’est que médiocrement musicien, à l’audition d’une musique absolument nouvelle pour lui. Quelle que soit l’attention qu’il y prête, il n’en peut saisir les élémens que d’une manière imparfaite. C’est à cette cause qu’il faut attribuer les contradictions et l’obscurité qui règnent dans ce que les voyageurs ont écrit sur la musique des peuples qu’ils ont visités. William Jones, président de la Société Asiatique de Calcutta, et William Ouseley, savans hommes dont les écrits ont contribué puissamment à nous faire connaître l’Orient, ne sont pas à l’abri de tout reproche à cet égard : ils ont étudié avec une louable persévérance les livres originaux qui traitent de la musique des Hindous, et malgré la difficulté de les entendre, ils en ont assez bien compris les choses les plus importantes ; mais lorsqu’il leur fallut appliquer ce qu’il avaient lu à ce qu’ils entendaient faire par les musiciens hindous, leurs idées se brouillèrent, et ils ne purent éviter des contradictions de plusieurs espèces. Ce n’est pas sans peine que je suis parvenu à discerner dans leurs ouvrages le faux et le vrai. Quoiqu’ils aient dit tous deux que les mélodies de l’Inde ne diffèrent de celle de l’Europe que par leur caractère passionné, on verra par la suite que la constitution de l’échelle musicale qui sert de base à ces mélodies n’est pas moins extraordinaire que celle de la gamme des Arabes.
Ainsi que tous les peuples anciens, les Hindous donnent à la musique une origine divine. Selon eux, Brahma lui-même, ou du moins Sereswati, déesse de la parole, ont inventé cet art, et leur fils Nareda a complété leur ouvrage par l’invention du vina, le plus ancien et le plus singulier de tous les instrumens de l’Inde. Bientôt, quatre systèmes de classification des modes de musique furent imaginés ; chaque royaume de l’Inde ancienne eut le sien. Ces systèmes ou matas avaient chacun une tonalité propre qui donnait naissance à des mélodies d’un caractère particulier. Le plus parfait des matas fut inventé par Bhérat, un des sages de l’antiquité.
Les effets merveilleux que les écrivains de la Grèce ont attribués à leur ancienne musique ne sont rien en comparaison de ceux qui étaient produits par les mélodies antiques de l’Inde. Orphée apprivoisait les animaux féroces aux sons de sa lyre, et les chants d’Amphion bâtissaient des murailles ; mais qu’est-ce que cela auprès de la puissance des ragas composés par le dieu