Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/214

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jets qui doivent tirer l’œil. GREAT ATTRACTION ! vocifère l’affiche du saltimbanque anglais. La France, toujours plus délicate, demande à Gondrequin un portrait flatté de son phoque ou de son jeune enfant à deux têtes. Gondrequin excellait surtout dans l’albinos, et quoiqu’il méprisât l’anatomie, ses hommes-squelettes faisaient autorité.

Au-dessus des demi-dieux, Jupiter gouvernait l’Olympe : Cœur-d’Acier, le maître des maîtres, jeune, beau, brillant : à tous ces dons, il ajoutait l’attrait du mystère. MM. les artistes en foire ne l’avaient jamais vu. On disait qu’aux heures où la journée finie faisait de l’atelier une vaste solitude, il descendait parfois de ses nues pour enlever un raccourci impossible, pour creuser une perspective rebelle, pour fondre les flots gelés d’un océan. On le disait ; c’était la légende, mais nul ne connaissait l’invisible successeur des Machamiel, des Tamerlan et des Quatrezieux. Supérieur à la nature humaine, « M. Cœur » exerçait de haut sa royale influence. Il était la poésie de tout un peuple. À la fête des Loges, à Saint-Cloud, à la foire au pain d’épices, sa radieuse image visitait les rêves de toutes les héritières baraquées, aux heures mystiques où la grosse caisse ne bat plus…

Ce matin, outre plusieurs enseignes figurant le cygne de la croix, le cheval blanc ou le coq hardi, — bagatelles, — outre divers tableaux, destinés à la tente de la somnambule parisienne, à la cabane de la jeune géante, à l’antre de la femme sauvage qui dévore des serpents empaillés, — simples frivolités, — l’atelier Cœur-d’Acier exécutait deux pages magistrales, deux grands tableaux d’histoire : la Tour de Nesle et les exercices de la famille Vacherie. La famille Vacherie, riche d’une vingtaine de membres, posait à gauche avec ses ustensiles et son tigre