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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/342

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vait rien de commun avec la forte tête du roi Comayrol, ni surtout avec la boîte à mielleuses coquineries qui surmontait le long cou du bon Jaffret.

Letanneur regardait franc, quoiqu’il y eût parfois sur son visage un voile d’inquiétude et de regret. C’était un travailleur qui n’avait pas cessé d’aimer le plaisir. Il avait changé sa vie le jour où Léon Malevoy, entrant en maître dans l’étude, avait dit à ses anciens camarades :

— Messieurs, je vous donne deux mois d’appointements et la clef des champs.

Il avait changé de vie, parce que Malevoy, le gardant à part, avait ajouté :

— Toi, tu es un brave garçon. Reste, mais sois sage !

Letanneur, principal employé de l’étude depuis plusieurs années, avait voué à Léon un dévouement sincère ; néanmoins, on ne pouvait pas dire qu’ils fussent amis dans toute la force du mot. Léon avait des secrets pour son maître-clerc, et Letanneur ne s’était jamais déterminé à une confession générale.

L’idée d’être un dénonciateur lui fermait la bouche depuis dix ans. Ceci n’étonnera personne parmi ceux qui connaissent le point d’honneur parisien. Letanneur était un vieux gamin de Paris.

— Patron, dit-il en entrant, les clercs sont partis. Avez-vous quelque chose à me commander avant la fermeture de l’étude ?

— J’ai quelque chose à te demander, répliqua Me Malevoy. Avance.

Letanneur fit quelques pas dans l’intérieur du cabinet. Léon reprit :

— Reconnaîtrais-tu bien ce garçon avec qui je devais me battre, le matin du mercredi des Cendres, en l’année 1832 ?

— Il est mort, prononça tout bas Letanneur, qui devint très pâle.

— Le reconnaîtrais-tu, s’il vivait ?

— Je ne l’ai vu qu’un instant, répondit le maître clerc, quand il était couché sous le réverbère… Mais ceux qu’on voit ainsi restent dans la mémoire… Oui, je crois bien que je le reconnaîtrais.

Léon resta un instant pensif, puis il dit :