Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/366

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d’une folle.

Quand M. le duc mit fin à sa courte bouderie et reprit paisiblement son siège à la Chambre haute, les démarches de Mme Thérèse cessèrent, et nous ne la vîmes plus à l’étude. Elle avait évidemment compté sur la disgrâce probable où le nouveau gouvernement tiendrait l’ancien général royaliste. Elle avait compté aussi sans doute sur un retour favorable du pouvoir vers les serviteurs de Napoléon.

Sous le règne de Louis-Philippe, il y eut en effet de ceci et de cela. Il y eut de tout. Si la veuve du duc Raymond avait eu de l’argent et des conseils, sa cause était gagnée d’avance. J’ajouterai qu’elle n’eût même pas rencontré devant elle un adversaire, car le duc Guillaume ne songea pas un seul instant à se prévaloir du dépôt confié. Ce n’était peut-être pas un cœur chevaleresque ; c’était du moins un homme probe et d’honnête milieu. Je ne voudrais pas prétendre qu’il eût restitué avec joie l’immense héritage de son frère ; mais j’affirme qu’il l’eût restitué, si la duchesse, sa belle-sœur, l’avait mis hautement en demeure d’accomplir ce devoir.

La duchesse Thérèse de Clare ne fit point cela. Après quinze ans d’exil, elle gardait l’impression toujours vive et ineffaçable qu’elle avait emportée l’heure de sa fuite. La voix de Guillaume reniant son frère devant la cour prévôtale de Grenoble sonnait encore à son oreille. Elle voyait en lui un spoliateur effronté, un ennemi inexorable. Personne n’était à même de lui révéler le mot de cette énigme : quelqu’un l’eût-il pu, elle aurait refusé de le croire.

Pour elle, la sauvegarde de son fils était l’obscurité profonde où ils vivaient, elle et lui. Avant d’entamer des négociations avec le duc, la première chose à faire était de déchirer le voile qui cachait l’existence du fils de Raymond ; elle eût bravé mille morts plutôt que de livrer ce secret.