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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/40

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avoir Joulou, coûte que coûte, à cause de son avenir, et l’on avait bien raison, vous verrez.

Il n’en était pas plus fier pour cela. Quand il revenait au château, il faisait l’amour à coups de poing avec les soubrettes en sabots et empruntait de l’argent à Yanmic le maître des écuries, qui avait, ma foi, 36 francs de gages, per annum !

Mais voilà le revers de la médaille : Au bout de la troisième année de droit, Chrétien, qui devait revenir avocat, ne revint pas du tout. On apprit avec épouvante au château du Bréhut que les quinze mille francs étaient dévorés en pures pertes. Joulou avait mené à Paris la vie de Polichinelle. Il jouait bien la poule ; c’était son seul talent. Il avait des dettes. La pauvre mère pleura toutes les larmes de son corps, les deux demoiselles roucoulèrent ce refrain de la femme, si terrible dans les familles : « Nous l’avions bien prédit. » Et le bonhomme, à qui on demandait de l’argent, envoya sa malédiction sans même payer le port.

Telle était l’histoire de Chrétien Joulou, « la Brute » de cette éblouissante Marguerite. Nous ne donnons pas cette histoire pour nouvelle. Le pays latin la tire tous les ans à plusieurs douzaines d’exemplaires. Un gai pays ! C’est cette histoire-là qui fait des étudiants de quinzième année une des classes sociales les plus utiles aux vaudevillistes. Quand le vaudeville la raconte, elle est à mourir de rire.

Seulement, Joulou ne ressemblait pas à tous les étudiants hors cours. C’était Joulou, le paysan, Joulou le gentilhomme, Joulou, le lutteur des pardons de Bretagne, Joulou, le buveur de cidre et le galant à bras raccourcis. Il eût été bien couché dans la boue d’une ornière ; il s’y fût endormi, ivre et idiot comme tant d’autres. Dans la boue de Paris, ces loups ne peuvent pas dormir ; l’ivresse est là d’une autre sorte. Ils prennent la fièvre parfois et voient rouge.

Chose étrange à dire, Joulou avait gardé quelque part, sous son épaisse enveloppe, un vague ressouvenir de son sang et de son pays. On l’avait vu protéger le faible, par hasard ; il ôtait son chapeau en passant devant les églises, et ses yeux se