Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/416

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— Messieurs et chers collègues, dit Comayrol au dessert et quand on eut mis les domestiques à la porte, Jaffret et moi avons jugé opportun de vous réunir avant le bal de l’hôtel de Clare, où Mme la comtesse interrogera peut-être séparément chacun de nous. C’est une personne capable. Nous sommes, à cet égard, tous du même avis.

— Très capable ! appuya le docteur Samuel qui avait toujours son apparence de pauvre hère, sous ses habits cossus. Je ne suis pas content de la santé de M. le comte, pas content du tout. Il baisse.

Il y eut un sourire autour de la table, et Rebeuf, usant du droit qu’ont les gamins de Paris d’être légers et gouailleurs jusqu’à leur soixante-dixième année, murmura :

— Pauvre Brute ! Il aura été dix ans premier mari !

Jaffret réclama le silence d’un geste doux et grave.

— Nous ne sommes pas ici pour faire des mots, déclara-t-il. La situation se tend, et il y a des nuages à l’horizon.

L’ancien expéditionnaire Moynier lança une boulette de pain à Jaffret. Il aimait ce style imagé. Comayrol reprit, heureux de prononcer un discours :

— Trop capable, Messieurs et chers collègues ! Je parle de Mme la comtesse. Elle tend à prendre parmi nous une position qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la dictature. Loin de moi la pensée de faire entendre qu’elle ne nous est pas utile. Elle a réalisé le rêve de cet homme éminent qui a laissé parmi nous d’ineffaçables souvenirs, M. Lecoq…

— A-t-il eu une bête de fin, ce Lecoq ! l’interrompit Nivert, qui avait pris trop d’embonpoint. Dites-nous la chose en deux mots, Comayrol, et laissons là les morts !

— Vayadioux ! s’écria l’ancien maître clerc, penses-tu que je parle seulement pour toi, mon bon ? Il y a ici des gens de goût qui aiment à m’entendre. Voilà le vrai : Nous avons mené à bonne issue une jolie affaire ; on peut dire que les trois millions sont dans notre main. Et avec ce qui se passe, voyez-vous, chacun de nous a le même désir : partager et travail-