Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/426

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raient pas mangé Marguerite, dit tout bas Comayrol, c’est le diable. J’ai vu le temps où la Brute valait un lion, mais elle l’a maté ! Il mourra à genoux, cet innocent-là !

— Savoir ! fit le vicomte Annibal. Que je vous conte une histoire. La semaine dernière, la Brute a fait une tournée de santé chez une demi-douzaine des meilleurs médecins… après vous, docteur. Il les a priés tout de go de lui dire s’il était empoisonné, et avec quoi. Ils l’ont tâté, palpé, flairé, goûté ; les plus francs lui ont avoué que, pour répondre à cette question indiscrète, ils auraient besoin de faire préalablement son autopsie ; d’autres lui ont demandé vous savez bien quoi. Il n’a pas permis l’autopsie, mais il a fourni le reste aux hommes de l’art. Ceux-ci se sont livrés à de superbes analyses. Devinez ce qu’on a trouvé ?

Tous les regards étaient curieux, et le cercle se resserra autour du vicomte Annibal.

— Vayadioux ! gronda Comayrol ; je ne sais pas à quelle pharmacie elle se fournit, mais on a dû trouver quelque chose !

— Néant ! prononça le vicomte avec emphase. Pas un scrupule de quoi que ce soit ! pas un atome ! rien ! rien ! rien de rien !

— Il n’y a pas besoin de poison pour empoisonner, dit le docteur entre ses dents… Outre que vos grands faiseurs d’embarras de la Faculté sont tous des ânes de licou !

— Amen ! ponctua le vicomte Annibal, qui peignait la soie de ses moustaches devant une glace. Vous devez avoir raison, très cher, car les princes de la science lui ont tous dit, en prenant chacun ses vingt-cinq louis, que, s’il n’arrachait pas cette idée de poison de sa grosse tête obtuse, il mourrait comme un chien qui a avalé une boulette. Quel charmant démon que cette Marguerite ! Elle vous a des façons de sucrer le thé de son premier mari qui font frémir. Elle n’y met que du sucre, à ce qu’il paraît, mais le pauvre comte, après avoir bu, a des coliques d’arsenic. Ce que c’est que l’idée… Quelqu’un de vous, Messieurs, veut-il bien me donner l’adresse