Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/452

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due avant d’avoir pu la flétrir assez énergiquement, cette histoire qui nous revient périodiquement, plusieurs fois chaque année, de l’étranger, de la province et aussi de Paris. De Paris, oui, le centre du progrès !

Ce n’est pas l’histoire Mortara, non, ni rien de semblable : l’histoire Mortara se passe en un pays ennemi du progrès ; ce n’est pas la légende des petits Chinois livrés aux pourceaux, ni le sanglant roman des juifs de Damas, fouillant des poitrines humaines : c’est ici, je vous le dis, et c’est aujourd’hui, à Paris, à Londres, partout. Avez-vous deviné ? c’est l’histoire, banale à force d’être répétée, de cette misérable petite créature, hâve, déchirée, meurtrie, qui a crié pendant des mois avant d’éveiller le voisinage et qu’on apporte enfin mourante au bureau de police. S’agit-il de tuteurs ? Non. C’est la mère, toujours la mère dans cette histoire épouvantable ! La mère, entendez-vous ? le bourreau, le tourmenteur, l’assassin patient et impitoyable ! Et parfois le père est avec la mère ! Ils se sont mis deux pour cette œuvre de cannibales. Ils avaient pris leur enfant « en grippe. » Voilà tout.

Que Dieu ait pitié de vous si vous n’avez pas remarqué comme moi la fréquence décourageante de cette ignominieuse histoire. Les journaux la reproduisent avec ces frémissements stéréotypés qui sont le charme des faits divers, mais elle revient, tenace, avec ses odieux détails de plaies, de famine et de liens qui laissent des meurtrissures ; tout au plus le progrès a-t-il changé les chaînes en cordes. Il pourrait mieux faire.

Et cependant, serait-il juste de peser notre époque si grande au poids de ce haïssable forfait ? Vous ne pouvez même pas supprimer l’appréciation terriblement historique : « IL Y A DES ENFANTS QUI SONT SI DÉSAGRÉABLES ! » Mais que prouve cela ? Je vais vous le dire.

Cela prouve qu’il faut être clément envers les siècles et ne point se vanter trop bruyamment de peur d’avoir soi-même le