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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/471

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de M. le comte.

M. le comte était très pâle, mais son œil, profondément ombragé, avait des regards fermes et nets.

— Je l’ai reconnu du premier coup d’œil, dit-il. Oh ! vous avez bien raison : cette nuit-là, elle avait mis du poison dans mon sang : un poison qui était du feu. Quand je descendis l’escalier après lui, mes tempes battaient et mes oreilles étaient pleines de grands bruits. Elle et moi nous nous étions disputés dans la soirée ; il y avait eu des coups, des coups à faire peur. On m’appelait la Brute, vous savez. J’étais bien la Brute. Quand il y avait eu des coups entre elle et moi, je l’aimais jusqu’à la folie ! J’étais jaloux du jeune homme ; jamais je ne l’avais vu, mais je savais qu’il venait souvent, et Marguerite disait qu’il était si beau. Ce soir-là, elle me fit croire qu’elle allait aimer : j’entends aimer d’amour pour la première fois de sa vie. Les vingt mille francs n’étaient rien pour moi ; je ne songeais guère aux vingt mille francs… Je vois encore, tenez, la glissade où son pied manqua. Je tombai sur lui comme une masse, et je vis sa pauvre belle figure. Après onze ans, je vous le dis, je l’ai reconnu d’un coup d’œil !

— Moi aussi, murmura le docteur, j’ai été du temps à le retrouver.

— Et n’est-ce pas une providence, pensa tout haut le malade, qu’ils se soient rencontrés tous deux, elle et lui, Roland et Nita, précisément à cet endroit : entre la riche sépulture de Clare et la pauvre tombe où dort celle qui mourut si malheureuse ! Depuis quelque temps, je vois bien souvent ma mère, quand je suis seul, la nuit ; elle vient ; mon père n’est pas encore venu, et je pense qu’il ne m’a point pardonné… Écoutez, Monsieur le docteur,