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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/507

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vérité, ni l’erreur, les choses prennent physionomie de miracles et arrivent à l’improviste comme de foudroyants coups de théâtre.

Pour celles qui sont, comme Rose, intelligentes, droites et vaillantes, mieux vaudrait savoir.

Elle avait gardé en elle-même un souvenir. Et tenez, il y a dans nos campagnes bretonnes une croyance populaire qui a peut-être son origine au fond de la réalité. On montre là-bas de claires fontaines dont les eaux diamantées portent malheur. Des jeunes filles en ont bu qui emportèrent à la maison le germe d’un mal étrange. Et croyez bien que les médecins n’y voyaient que du feu : c’est toujours ainsi quand les médecins sont mentionnés dans la légende. Les médecins appelés disaient ceci et disaient cela, en grec, en latin, en français même, s’ils étaient bons enfants, mais ils laissaient mourir les jeunes filles.

Or, savez-vous, à la veillée qui suit le décès, par la pauvre bouche des jeunes filles mortes, un serpent sortait… un grand serpent !

La source claire contient d’imperceptibles couleuvres ; on les boit avec les diamants de l’eau. Une fois qu’elles sont dans le beau corps des jeunes filles, ces bêtes hideuses, elles grandissent, elles grandissent, car elles ont chaud et mangent bien.

Elles mangent jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien que le cœur.

Alors, on va cueillir cette blanche couronne de fleurs qui coiffe là-bas le front des vierges décédées.

L’amour est beau, loin de ressembler à cette odieuse couleuvre, mais on le boit ainsi, sans savoir, mieux que cela : on le respire.

Oh ! ne croyez pas ces sages qui nient un fait parce que le roman l’affirma. Ne croyez pas non plus tout le roman, mais choisissez, car dans le roman c’est la vérité seule qui vous émeut et qui vous attire. S’il me fallait préciser le mal produit par le roman, je dirais : le roman est nuisible, parce qu’il empêche de croire. Il est comme ces menteurs qui démonétisent jusqu’à la vérité.

Laissez douter ces sages. Les chanteurs