Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/514

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un mystérieux frémissement aux ressorts intérieurs du siège qui vibra tout entier, comme ils vibraient, elle et lui, dans chacune de leurs fibres.

— Je voudrais voir vos traits, Nita, dit Roland.

Elle ôta aussitôt son masque, montrant l’adoré sourire qui errait autour de ses lèvres pâlies.

Le masque de Roland aussi tomba.

Ils se contemplèrent en extase.

Bien peu se souviennent de ces heures. Quand ceux qui se souviennent racontent, les lecteurs disent : ce ne fut pas ainsi. La mémoire, en effet, transforme en paroles échangées tout ce que se disaient les deux pensées muettes. Les mots changent si complètement de signification ! alors ! on chante la langue des dieux avec les plus vulgaires paroles, et mieux encore, oh ! bien mieux, avec le silence !

Tout est amour, les sons, le souffle, le regard ; il est amour, ce jeu de prunelles, amour aussi ce voile qui tombe au-devant des yeux. Il est amour ce sang généreux qui monte aux joues, elle est amour, cette belle, cette profonde pâleur.

Les vieux poètes le disaient, et vous vous moquez de leurs chansons naïves. Ils avaient trouvé un mot pour exprimer la voix d’amour. Comme le cheval hennit, comme la colombe roucoule, l’homme soupire, quand il aime. Les vieux poètes disaient cela, et cela vous fait rire.

Parce que, au théâtre, ceux qui vous divertissent en parodiant l’amour, hurlent, gesticulent, dissertent, riment et sermonnent. Or, vous voyez tout désormais au travers du théâtre qui vous assote comme l’habitude d’un vin déloyal.

Vous avez là le plus invraisemblable, le plus inattendu des symptômes qui trahissent la caduque vieillesse du monde. Le monde, myope outrageusement, ne sait plus se regarder au miroir. Il raille ceux dont la vue était bonne. Il lui faut des fantasmagories éclairées à blanc et montrant des marionnettes aux grossières enluminures : des tire-l’œil, comme dirait Gondrequin-Militaire. Devant ces poupées, le monde essaie des besicles et dit : parbleu ! Voilà mes voisins et amis : je les reconnais, parce qu’ils sont très laids.