Page:Féval - L’Arme invisible, 1873.djvu/76

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rangent toujours avec la main ; vous avez une chance de possédé, papa !

— Mons Lecoq, répondit le colonel, les histoires ne s’arrangent jamais d’elles-mêmes, on les arrange. Tes yeux ne sont pas mauvais, mais il te faudrait des lunettes que tu n’as point pour voir où et comment j’attache les fils de ma trame. Dans ma jeunesse, je te ressemblais, j’allais comme une corneille qui abat des noix, mais vers l’âge de quarante ans, un matin, au Castel-Vecchio de Naples, où j’étais prisonnier, il m’arriva de regarder travailler une araignée. Ce sont des bêtes fort intelligentes, et crois-moi, quand elles attrapent une mouche, il n’y a ni bonne ni mauvaise chance, c’est du talent et voilà tout.

— Alors, s’écria Lecoq avec impatience, vous voulez me faire croire que tout cela était arrangé de longueur : le jeune homme d’Algérie, la jeune fille de la foire et le reste, pour pincer de seconde main les diamants de Carlotta Bernetti !

Le colonel eut un rire silencieux.

— Quand je ne serai plus là, murmura-t-il, vous me regretterez. Je me moque des diamants de la Carlotta comme d’une guigne ; s’il ne s’agissait que de faire une rafle d’argent, Mme la marquise d’Ornans est mûre, on pourrait la cueillir d’aujourd’hui à demain ; mais nous n’en sommes pas là, mon bijou ; dans la partie qui est engagée, nous jouons plus gros jeu que cela : c’est une question de vie ou de mort, non pas pour les autres, comme à l’ordi-